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si le prince n’avait des remèdes dont il usera largement. Il y a un Opéra à Munich, et l’Opéra ne manque pas de belles aventurières pour qui vont fleurir tous les sonnets du roi-poète. J’en demande sincèrement pardon à mes lecteurs, ce sont là d’étranges détails domestiques, mais je suis bien forcé d’en dire quelques mots, puisque le roi Louis en a rempli son livre. Le roi nous a conviés lui-même à l’étude de son cœur, et il en fait les honneurs avec la plus complaisante hospitalité. Condamné à la royauté constitutionnelle, ce pauvre poète invoquait sans cesse l’idéal qui devait le transporter loin de ce monde vulgaire ; l’idéal n’est pas venu, mais voici les danseuses de l’Opéra. L’une après l’autre, elles passent dans ses vers, depuis celle qu’il a rencontrée à Palerme, et dont le nom lui inspire de si sérieux calembours. Elle s’appelait Candéla, et le monarque lui adressait ce distique

« Oui, Candéla est bien ton nom ; au milieu de la nuit de la débauche qui enveloppe la scène, tu brilles, ô Candéla, de toute la lumière de l’innocence ! »

Pourquoi donc n’a-t-il pas consigné aussi fidèlement tous les noms à qui s’adressent ses élégies sensuelles ? La liste serait intéressante, et la postérité aimerait à connaître les Dubarry qui, depuis Candéla jusqu’à Lolla Montés, ont tenu une place si considérable dans la monarchie bavaroise. Les noms manquent, mais les vers ne manquent pas, et, parmi ces milliers de lettres sans suscriptions, il y a de quoi choisir pour toutes les situations amoureuses. Stances platoniques, épîtres enflammées, désirs, triomphes, regrets, le clavier possède toutes les octaves, et le virtuose s’y joue avec une singulière prestesse. S’il n’y a rien à louer dans la mélodie du maestro, on ne saurait nier du moins la dextérité de ses doigts. C’est précisément ce qui m’empêche d’en rien traduire ici ; aucune de ces pièces n’est supérieure à l’autre ; c’est par le nombre, par l’accumulation, si je puis ainsi parler, c’est par l’interminable liste de ses amours que le roi de Bavière a voulu intéresser ses admirateurs.

Voici cependant quelques strophes d’une inspiration vraiment originale. Elles sont destinées à la reine, et l’auteur les a placées (c’est cette place qui est un coup de maître) au milieu même de ces stances et de ces épîtres adressées à des créatures qu’il n’ose nommer

« Tu ne m’as point méconnu, bien que la foule me méconnaisse, ô la plus digne, ô la meilleure des femmes qui ait jamais vécu ! Aussi je porte légèrement le destin qui m’a été envoyé. Quand le soleil parait, toute autre lumière s’efface. Toutefois, si je n’avais aimé d’autres femmes, je ne t’aimerais pas autant ; je ne connaîtrais pas toute la beauté de la plus noble des ames. Tu es l’idéal de ton sexe. Pleine de cœur, tu forces les cœurs à t’honorer comme un être auguste ;… le sommet du chêne est parfois agité par les vents qui passent, mais sa racine demeure inébranlable dans le sol ; ainsi mon amour pour toi. »