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certains artistes y prêtent servilement la main ne vaut pas l’honneur d’une protestation sérieuse. De telles inepties sont parfaitement à leur place dans la capitale du souverain qui fait des ordonnances pour défendre aux élèves des lycées la langue de Descartes et de Pascal. Encore une fois, ces mesquines vengeances ne valent pas qu’on y réponde ; non, je parle de cette subtile et mortelle influence qui détourne les artistes de leur mission virile, qui les empêche de créer librement, et, sans avouer tout haut ses projets, accoutume l’esprit aux énervantes séductions du moyen-âge. Le dilettantisme du roi de Bavière a beau réunir dans ses musées de magnifiques monumens de l’art grec, ses peintres ont beau interpréter Homère et Sophocle, comme ils reproduisent Giotto et Albert Dürer ; dans ce bizarre syncrétisme, c’est toujours le moyen-âge qui domine, ce sont les fonds d’or byzantins, ce sont les personnages du XIIe siècle avec leur maigreur systématique, avec leur prétentieux archaïsme. Certes, quand on étudie à Florence ou à Pise les premières écoles italiennes, il est impossible de ne pas en être ému ; il y a dans les Vierges de Siméon Memmi, dans les scènes religieuses de Gozzoli, il y a surtout dans les paradis de Fra Angelico da Fiesole une naïveté vraie qui nous enchante. Quand on voit dans les églises de Bruges ou à la Pinacothèque de Munich les monumens du vieil art germanique, les juges les plus sévères sont charmés ; quelle grace incomparable dans les compositions d’Hemmling et de Wohlgemuth ! Ces œuvres sont pleines de l’émotion sincère qui les a dictées, et c’est cette sincérité qui en fait la vie. Au contraire, lorsque vous visitez à Munich l’Église de tous les Saints, ces froides reproductions d’un type qui n’a de valeur que par le sentiment et d’où le sentiment a disparu, cette naïveté hypocrite, ces beaux mensonges dorés, tout cela vous afflige et vous blesse. Si vous regardez, en effet, tous ces saints, tous ces anachorètes, sous leurs fausses auréoles, ne croyez-vous pas entendre leur voix glacée qui murmure : « Arrêtez les battemens de vos cœurs, déposez le fardeau trop lourd de la pensée moderne, et venez avec nous recommencer le moyen-âge ! »

Ces conseils du découragement ont été trop bien entendus, et si l’art à Munich, avec de si brillantes renommées et des ressources si considérables, a produit des résultats attristans, la science aussi, malgré les nobles esprits qui la représentaient, a peu à peu abdiqué sa mission. Chacune des universités allemandes a une physionomie particulière ; l’université de Munich, depuis ses premiers débuts, a toujours été le refuge des lutteurs fatigués, ou la demeure de ces intelligences paisibles qui s’efforçaient d’échapper par le mysticisme aux rudes labeurs du temps présent. C’est là que Jacobi et Baader ont rêvé ; c’est là que s’est retiré Schelling quand Hegel eut pris sa place sur le trône de la philosophie ; c’est là enfin que le vieux Goerres, après une vie de passions