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nom de tous les Pharaons, de tous les Ptolémées, de tous les empereurs, font un singulier effet quand on les voit accompagner le nom d’Alexandre. Ces dénominations emphatiques de seigneur du monde, vainqueur du nord et du midi, de l’Orient et de l’Occident, maître des trônes, sont vraies cette fois. Ces exagérations, qu’avait imaginées la flatterie et qu’elle distribuait au hasard, la gloire en a fait des réalités.

Nous sommes partis de Syène vers quatre heures, poussés par un vent de nord assez fort pour nous faire remonter rapidement le courant qu’on rencontre après Syène. Ce moment est un de ceux que je n’oublierai pas. Il y avait quelque chose d’imposant dans cette nouvelle phase du voyage. Nous avions pris à bord un pilote nubien, car le pilote égyptien ne nous aurait plus servi de rien au-delà de la première cataracte. Nous allions laisser l’Égypte derrière nous, entrer dans un pays nouveau. Une nouvelle race nous entourait, les visages étaient plus noirs, les physionomies plus étranges. Le passage des cataractes est toujours un événement : comme la barque court quelque risque, on fait porter par terre, à dos de chameau, ce qu’on a de plus précieux. Le lecteur imagine sans peine que, pour moi, c’étaient mes notes et les ouvrages de Champollion. Du reste, rien n’est plus agréable que de se sentir emporté ainsi à contre-courant à travers des rochers qu’on évite adroitement, et qui semblent tourbillonner. Le Nil murmure et bouillonne, le vent lutte contre le courant, la barque penche, on crie : une manœuvre la relève bientôt. Pour la première fois je suis entouré de tous côtés de bords abrupts, formés par des rochers noirs comme du basalte. Ces roches noires percent un sable d’or, car ici le désert est le lit du Nil. Cette côte, d’un aspect si nouveau, paraît fuir et tournoyer autour de moi. Tout enivrés de cette navigation étourdissante, nous arrivons à la première station, qu’on appelle la première porte. Nous n’avancerons pas davantage aujourd’hui ; demain la barque franchira les autres portes, et nous irons par terre nous embarquer plus loin pour passer dans l’île de Philoe ; car il y a à voir sur le chemin les débris du mur antique élevé contre les nomades pour la protection des pèlerins qui allaient à Philoe visiter le tombeau d’Osiris ; il y a aussi des hiéroglyphes à relever. Les rochers en sont couverts comme aux portes de Syène ; dès le soir, j’ai commencé ma chasse, qui n’a pas été sans résultat. J’ai trouvé gravés sur le roc les noms de plusieurs particuliers obscurs et le prénom d’un Pharaon très ancien et très célèbre, Mantonotep. Ici est indiquée la quarantième année de son règne. Ce règne a donc duré au moins quarante ans.

Outre la bonne fortune de mon cartouche, je cherchais avidement les noms obscurs, car je fais une collection de noms propres égyptiens. Il y aura là matière à quelques observations curieuses. Les noms des Pharaons les plus célèbres sont portés fréquemment par des particuliers.