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Les sucres des colonies étaient alors imposés en Angleterre à raison de 1 livre 4 shellings le quintal anglais, soit environ 60 francs les 100 kilogrammes, droits énormes, mais bien faibles encore en comparaison de ceux qui frappaient les sucres étrangers, et qui ne s’élevaient pas à moins de 3 livres 3 shellings le quintal anglais, ou environ 158 fr. les 100 kilogrammes. À ces conditions, on comprend que les sucres étrangers n’entraient pas dans la consommation du pays. En France, où la législation n’a été modifiée, depuis longues années, que dans la forme, le droit varie, pour les sucres des colonies, selon les qualités et les provenances, de 42 fr. 35 cent., décime compris, à 55 fr. les 100 kilogrammes. Le droit le plus ordinairement perçu est celui de 49 fr. 50 cent., applicable aux sucres du type inférieur importés de nos colonies d’Amérique. Pour les sucres étrangers, le moindre droit, applicable aux provenances de l’Inde, est de 66 fr. les 100 kilogrammes ; le plus élevé, non compris les droits différentiels, est de 104 fr. 50 c., applicable aux provenances des entrepôts. La moyenne du droit perçu sur les sucres étrangers a été, en 1845, d’environ 71 fr. les 100 kilogrammes.

Au premier abord, la loi française paraît ici moins rigoureuse que ne l’était la loi anglaise à l’époque à laquelle nous nous rapportons. Il ne faut pourtant pas s’y tromper. En ce qui concerne les sucres des colonies, la différence n’est pas grande. Quoique le droit de 49 fr. 50 c. soit le plus ordinairement perçu en France, ce n’est pas celui qu’il faut prendre pour terme de comparaison. L’Angleterre, ayant établi depuis long-temps sur les sucres un droit uniforme, sans distinction des qualités, a forcé les producteurs à perfectionner leur travail, à purifier leurs produits, de manière à n’obtenir et à n’expédier que des qualités supérieures ; aussi n’en reçoit-elle pas d’autres. La France, au contraire, par les distinctions qu’elle a établies, a favorisé la production et l’envoi des qualités basses. C’est un inconvénient de plus dans son régime, car ces sucres mal épurés perdent beaucoup dans le voyage, et la mélasse qui coule sans cesse des barriques infecte en mer la cale des bâtimens, et en France même les magasins de dépôt. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le droit de 49 fr. 50 cent. les 100 kilogrammes, mais celui de 55 fr. qu’il faut comparer au droit anglais. La différence n’est donc en réalité que de 5 fr.

En ce qui concerne les sucres étrangers, ces deux législations sont à peu près également prohibitives, et la preuve en est dans les résultats. Jusqu’au temps de l’émancipation des nègres dans les colonies anglaises, il n’était pas entré en Angleterre, pour la consommation, un seul atome de sucre étranger. À cette époque seulement, la production des colonies des Indes occidentales ayant décru tout à coup dans une très forte proportion, et cette production ne suffisant plus aux besoins