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enfin leur sol, autrefois si riche, par le retour continuel des mêmes récoltes. Placées dans des situations si différentes, il n’est pas du tout surprenant que la France et l’Angleterre ne soient pas arrivées à une consommation égale. On peut dire avec assez de justesse que chacun des deux pays a récolté ce qu’il avait semé.

Veut-on une preuve bien frappante de l’insuffisance de la production de nos colonies et du besoin très réel qui se faisait sentir en France d’une consommation plus forte, on la trouvera dans le seul fait de l’existence de la fabrication du sucre indigène et de l’accroissement continu de cette fabrication, malgré la progression croissante de l’impôt. De ce fait, il n’y a qu’une seule conclusion légitime à tirer, bien que ce soit peut-être la dernière à laquelle on s’arrête : c’est que la France éprouvait un besoin impérieux, invincible, d’un supplément en sucre, et qu’il le lui fallait à tout prix. La loi s’opposant à ce qu’elle le tirât librement des pays où il abonde, elle s’est vue réduite à le fabriquer elle-même.

Cette dernière réflexion nous amène à considérer un instant les complications graves que la législation actuelle a engendrées.

Avec les colonies chétives que nous possédons, exclure par des surtaxes prohibitives les sucres étrangers, c’était borner la consommation de la France d’une manière trop absolue, trop rigoureuse, pour qu’un tel état de choses pût se maintenir long-temps. C’était placer le pays dans une impasse d’où il devait naturellement chercher à sortir par quelque voie. Il devait arriver de deux choses l’une : ou que le prix du sucre colonial s’élevât assez haut pour provoquer l’importation du sucre étranger, malgré l’exagération de la surtaxe, c’est-à-dire qu’il s’élevât de 20 à 25 francs les 100 kilogrammes au-dessus de son taux normal, ou qu’on trouvât dans le pays un produit similaire exempt de l’aggravation des droits. La première hypothèse s’est réalisée durant un certain temps, avant que le sucre indigène eût apparu sur nos marchés. Les sucres des colonies se vendaient alors à des prix de monopole, surélevés de tout le montant de la surtaxe, en sorte que les sucres de provenance étrangère venaient, grace à ce renchérissement artificiel, prendre une certaine place sur nos marchés. On comprend bien toutefois qu’à ces conditions la consommation ne pouvait guère s’étendre. C’était une situation violente, forcée, qui appelait à grands cris une solution. C’est alors que la fabrication du sucre indigène est intervenue pour donner cette solution nécessaire.

Il s’en faut bien cependant qu’elle l’ait donnée d’une manière satisfaisante et complète. S’il est incontestable que la fabrication indigène est venue en aide aux consommateurs, auxquels des lois trop rigoureuses refusaient la satisfaction légitime de leurs besoins, à d’autres égards elle n’a fait que mettre un plus grand nombre d’intérêts en