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la navigation de la Manche. Si le caprice de la politique des temps passés et les convenances administratives du nôtre ont établi le long de la petite rivière de Bresle une ligne idéale de démarcation, le navigateur qui entre au Tréport ne sait guère que, des deux quais entre lesquels il s’arrête, l’un est picard et l’autre normand ; de la mer, il observe la configuration de la côte, la direction des courans, et n’est frappé que de leur homogénéité ; il comprend donc sous le nom de falaises de Normandie le prolongement qu’il aperçoit au-delà du Tréport, et simplifie les dénominations pour mieux expliquer les choses. Nous serons excusable d’imiter un moment cet exemple.

Les côtes du Pas-de-Calais et celles de Provence nous ont montré de nombreuses traces de l’administration de Richelieu. Dans cette course sur d’autres rivages, le cardinal nous servira plus d’une fois de guide : il était grand-maître du commerce et de la navigation du royaume, et ses projets sur le pays que nous allons parcourir en font mieux comprendre les intérêts actuels. En effet, le 24 décembre 1639, M. de Caen, sergent de bataille de l’armée navale, portait à Rouen une instruction datée de Ruel, par laquelle il était « enjoinct à M. d’Infreville, conseiller du roy et commissaire-général de la marine, de se transporter, accompagné dudict sieur de Caen et du sieur Daniel, capitaine de marine, en la ville de Cillais, pour audict lieu prendre le sieur Regnier Jenssen le jeune, ingénieur du roy, pour dudict lieu aller le long des costes de Picardye et Normandye jusques à Cherbourg, pour voir et recognoîstre quelz lieux on trouveroit plus propres et commodes pour bastir et construire un port, affin de retirer les vaisseaux du roy… » Suit un long détail des vérifications auxquelles devront se livrer les commissaires, et ceux-ci ont « de tout faict procès-verbal, pour être présenté à son éminence et être ordonné par sa majesté ce qu’il appartiendroit[1]. » Le procès-verbal, accompagné de cartes et de plans, est très soigneusement rédigé, et peu s’en fallut que, par respect pour l’ordre de suivre exactement le bord de la mer, les commissaires ne se perdissent dans les marais de l’Authie. Dans les courses dont je donne ici le résumé, je n’ai pas, je l’avoue, poussé si loin le scrupule ; mais j’ai souvent vu, et c’est là mon titre à la confiance, par les yeux de M. Beautemps-Beaupré et des ingénieurs hydrographes dont il est le chef : grace à leurs travaux, on peut aujourd’hui bien connaître la côte sans s’éloigner beaucoup des routes battues.

Nous nous arrêterons aux mêmes lieux que les commissaires du grand cardinal ; nous entrerons sans eux dans le bassin de la Seine, et nous nous avancerons au-delà de Cherbourg, où ils s’arrêtèrent. Mais on risquerait de se méprendre sur la nature des difficultés que rencontre

  1. B. N. Mss. Petit in-folio, S. E., 87.