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des groupes isolés, mais pas une phrase entière et suivie ; c’est donc, par rapport à l’inscription de Rosette, obscurum per obscurius. Cependant l’inscription de Philoe ne sera point inutile, elle pourra fournir des variantes curieuses pour les parties où elle suit le texte de Rosette ; mais il n’est pas encore démontré que ce soit une reproduction exacte de ce texte. La dernière ligne, qui est bien la même, contient l’injonction de publier le décret en caractères sacrés, en caractères populaires et en caractères grecs, mais c’est une formule qui a pu être mise au bas de tous les décrets analogues. Une différence notable, c’est qu’auprès du nom du roi Épiphane à Philœ, on lit le nom de la reine Cléopâtre, qui ne figure point sur la pierre de Rosette. Ce fait seul prouve que les deux décrets ne peuvent être identiques, puisqu’à l’époque où fut rendu celui de Rosette, Épiphane avait douze ans et demi, et qu’à cet âge il n’était pas marié à Cléopâtre[1].

Le sanctuaire du grand temple porte les noms de Ptolémée Philadelphe et de Bérénice. Dans l’épaisseur d’une porte qui regarde le Nil, j’ai copié une assez singulière litanie en l’honneur du roi ; en voici quelques versets :

« Dieu bienfaisant, mine d’or et d’argent de tout le pays.
« Dieu bienfaisant, soleil de l’Égypte, lune des pays étrangers.
« Dieu bienfaisant… qui a été père plusieurs fois par sa femme. »


Ici l’expression est d’une franchise que j’ai dû adoucir dans la traduction ; l’hiéroglyphe, encore plus que le latin, brave l’honnêteté. La partie du temple qui date de Philadelphe est supérieure, pour le goût des sculptures, à ce qui est l’œuvre de ses successeurs ; mais la distance est encore plus grande entre les monumens de Nectanébo, le dernier des Pharaons, et ceux de Philadelphe, le second des Ptolémées. Le commencement de la décadence est très sensible en passant de l’époque égyptienne à l’époque grecque. Une fois qu’on est entré dans celle-ci, la décadence continue, mais moins visiblement. Un petit temple très élégant, à l’est, n’a pas été achevé. Ses colonnes s’élèvent avec leurs chapiteaux à feuilles de lotus, comme une corbeille imparfaite. On aime à y lire le nom de Trajan. Voici comment M. Lancret[2] explique l’effet particulièrement gracieux de ce petit temple. « Ces colonnes ne sont pas plus élancées que dans les autres temples, mais elles sont surmontées d’un dé égal au quart de leur hauteur, ce qui donne à l’ensemble de l’édifice un air de légèreté qui contraste avec les proportions ordinaires des monumens. »

  1. Letronne, Inscriptions égyptiennes, I, 265.
  2. Expédition d’Égypte, Antiquités, I, 13.