Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement résolut de la lui conserver. Un canal susceptible d’y porter des bâtimens de 400 tonneaux fut ouvert sur un seul niveau jusqu’à Saint-Valery, où la pente de la Somme est rachetée par un sas élevé de 5m07 de chute ; Saint-Valery est ainsi devenu l’avant-port d’Abbeville. Le canal, livré le 9 juin 1829 à la navigation, a, de ce jour, réclamé pour son service, sauf aux momens de grandes crues, toutes les eaux de la rivière, et de ce jour aussi l’ancien lit de la Somme n’a plus été qu’une gaîne étroite où s’étalaient les eaux troubles de la haute mer. Les dépôts s’y formaient en abondance, lorsqu’au mois de décembre 1833, un raz de marée furieux poussa jusque sous les murs d’Abbeville une avalanche de sable vaseux, qui combla sur une longueur de 2,000 mètres le haut de l’ancien lit. Depuis cet événement, les eaux de la Somme n’ont plus de passage que par le canal, et la partie correspondante de la vallée qu’elles arrosaient en est complètement privée. Cet état de choses se consolide et s’étend de jour en jour ; chaque marée laisse sur la zone où elle s’amortit une couche de limon dont l’épaisseur va souvent jusqu’à 3 millimètres, et la baie se raccourcit rapidement ; elle reculera ainsi devant les attérissemens jusqu’à la rencontre des eaux de la Somme, qui débouchent aujourd’hui par Saint-Valery. Les 2,500 hectares de la baie qui sont au-dessus d’une ligne tirée du sas inférieur du canal au Crotoy ne sont point encore gagnés pour l’agriculture, mais dès à présent la plus grande partie en est irrémédiablement perdue pour la navigation.

L’unique, mais grave dommage qu’éprouvera celle-ci, consistera en ce que, la puissance des courans alimentés par les marées étant atténuée par les attérissemens, la barre qui obstrue l’entrée de la baie se fortifiera. Dans son état actuel, les bâtimens de commerce ne la franchissent qu’en saisissant le moment précis où elle est couverte par la haute mer, et la plupart du temps ils sont obligés, pour gagner Saint-Valery, d’attendre sur les posées du Hourdel et du Crotoy d’autres marées et des vents favorables. Séparé de la mer basse par une plage de huit kilomètres, déjà difficile à atteindre et difficile à quitter, le port de Saint-Valery, si la barre s’exhaussait, deviendrait inaccessible au commerce, et, comme il est à peu près impossible de la tourner, il faut savoir la creuser et l’affaiblir.

Remarquons d’abord que les sables charriés par les marées ou par la rivière ne sont pas les seuls dont s’encombre l’embouchure de la Somme. La pointe de Saint-Quentin, sur laquelle elle est appuyée, forme l’extrémité d’un massif de 3,000 hectares de dunes, et toutes les fois que les vents soufflent du nord au nord-ouest, ils en enlèvent des nuages de sable qui se déposent, au milieu de la baie. Par les vents de sud, les dunes de Cayeux fournissent un contingent beaucoup moindre, mais qui se place encore plus mal. L’administration des travaux publics,