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Favières sur le port du Crotoy ; la seconde est la trace que laissent dans la baie de la Somme, à 3 milles en aval, les eaux perdues de la Maye ; la troisième, bien plus considérable à elle seule que les deux autres ensemble, est la profondeur de la baie d’Authie. Celle-ci s’enfonce de 7 kilomètres dans les terres, son étendue excède 1,500 hectares ; ce vide est le résultat du débouché seul de la rivière, et il est clair que le déplacement de la cause entraînerait le déplacement de l’effet ; amenées au Crotoy, les eaux de l’Authie feraient dans les sables de la Somme la même trouée que dans les dunes du Marquenterre. A la vérité, cette dérivation entraînerait le comblement de la baie d’Authie : dès que les sables du large, qu’y poussent tumultueusement les coups de vent d’ouest, ne seraient plus réprimés par la pression des eaux intérieures, ils l’envahiraient. Le mal ne serait pas grand ; cette baie déserte n’est bonne à rien et n’est connue que par des naufrages.

Ce n’est point ici le lieu de rechercher comment devrait être manoeuvrée, pour le plus grand avantage de l’attérage de la Somme, la masse fluide qui déboucherait au Crotoy ; mais il est palpable que la convergence des chasses qu’elle alimenterait avec celles qu’envoie de la rive opposée le canal de Saint-Valery approfondirait beaucoup la passe de la baie, et, si l’embouchure de la Somme continuait à se modifier, l’existence de la navigation n’y serait du moins plus compromise.

Ce système de protection de l’attérage impliquerait l’heureuse nécessité de donner au chenal du Crotoy les dimensions d’un canal maritime, au moins jusqu’à Rue, où il s’accolerait à une station du chemin de fer de Paris à Boulogne : la distance est de 6 kilomètres. Le chenal et ses dépendances devraient former un réservoir assez vaste pour fournir des chasses énergiques : il assainirait par ses ramifications le Marquenterre tout entier, et ce pays, naguère désolé par les inondations et les maladies, reproduirait à nos yeux toutes les merveilles de l’industrie agricole de la Hollande.

L’essor imprimé à la contrée par ce concours de circonstances réagirait nécessairement sur la navigation. Touchant au chemin de fer, le Crotoy deviendrait un des meilleurs ports de pêche de la côte, et son commerce, dont le mouvement flotte misérablement entre dix et quinze mille tonneaux, grandirait avec la richesse du pays. Ce village d’un millier de pauvres pêcheurs, dont les chaumières font un si triste contraste avec son église et d’autres vestiges d’une grandeur passée, ce village a joué jadis un rôle dans notre histoire. Il est à dix lieues des champs d’ Azincourt, à quatre de ceux de Crécy, et, au milieu des malheurs des XIVe et XVe siècles, les avantages de sa position, alors accessible à tous les navires, en avaient fait une des plus fortes places des Anglais sur notre territoire ; sa citadelle servit, en 1430, de prison à Jeanne d’Arc, jusqu’au moment où ils la conduisirent au bûcher de