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Cette pièce est significative et d’une grande importance ; elle indique la résolution arrêtée des provinces vénitiennes de ne plus tenir aucun compte de l’opposition et des tergiversations de la métropole, et de procéder sans elle, le cas échéant. Déjà les fantaisies républicaines de Venise et les excès de ses démagogues avaient provoqué des mécontentemens sérieux et amené contre elle une réaction. Nous trouvons dans le Popolano, journal officiel de Trévise, une attaque fort vive contre le gouvernement provisoire de la république au sujet de certains bruits absurdes et calomnieux répandus par le Libero Italiano contre Charles Albert et les Piémontais, et que le gouvernement, bien loin de réprimer, semblait autoriser par son silence. Le Popolano demande la mise en jugement du rédacteur en chef du Libero Italiano. Le Libero Italiano n’en a pas moins continué à faire à la cause de l’union une guerre aussi violente qu’inintelligente. Quant au gouvernement provisoire, il a répondu le 2 mai assez dédaigneusement, par l’organe du président Manin, qu’une assemblée allait être convoquée le 18 de ce mois pour délibérer sur la question qui lui était soumise. C’est mettre bien de la lenteur et du mauvais vouloir à aborder une affaire résolue désormais dans toute l’Italie du nord, et quand bien même l’assemblée serait d’un avis contraire, Venise, séparée des comitats de la terre ferme, espérerait-elle donc constituer à elle seule, dans ses lagunes, un second échantillon de Saint-Marin ?

L’obstination des Vénitiens accuse une remarquable absence d’esprit politique, et il est d’autant plus permis de s’en étonner que le parti républicain de Milan, sur lequel les Vénitiens auraient pu compter pour appuyer leurs prétentions, paraît avoir, pour le moment, renoncé, au moins ouvertement, à la lutte et accepter bon gré, mal gré, la candidature inévitable du roi de Piémont. Ce parti avait débuté à Milan, il y a un mois, par la publication d’un journal l’Italia del Popolo, rédigé par M. Mazzini. Ce journal, disait M. Mazzini, devait être l’organe de l’association italienne, fondée à Paris par les exilés dans les premiers jours qui ont suivi la révolution de février et dont le siége était désormais transporté à Milan. Dio e il popolo, telle est sa devise ; son programme : Unita e non unione. Assemblea del popolo italiano e non dieta. C’était tout d’abord se condamner à rester dans la sphère des théories ; car, pour réaliser ce programme, il eût fallu commencer par jeter à bas Pie IX, Léopold et Charles-Albert. Le véritable esprit politique est celui qui ne s’applique qu’aux choses possibles. Or, M. Mazzini nous semble en manquer complètement. Nous avons suivi avec une attention scrupuleuse tous les numéros de l’Italia del Popolo depuis son origine ; qu’y trouve-t-on ? De nobles élans, une philosophie abstraite et diffuse, des intentions généreuses et une aspiration constante vers un idéal assez mal défini. Pour ce qui est de l’application et de la pratique, M. Mazzini n’a pas l’air de s’en inquiéter beaucoup. Chaque matin, il répète sur le même ton et avec une éloquence emphatique le thème peu varié qu’il a développé la veille, ce qui contribue à introduire une certaine monotonie dans son journal : Republica e non Republiche ; Rome, centre de l’unité italienne. Cette unité, ni un pape, ni un prince ne peuvent la donner ; au peuple seul, il appartient de la réaliser ; jusque-là, tout est provisoire.

Certes, c’est là un beau rêve et bien fait pour séduire une jeunesse ardente et des ames passionnées. Après dix-huit siècles, le peuple, reprenant possession de son Capitole, Rome de sa grandeur, l’Italie de sa suprématie, quel magnifique spectacle ! Mais est-ce à notre génération qu’il sera donné de le voir ? Ce peuple, où le trouvez-vous ? sera-ce à Milan, à Venise, ou bien à Naples ? Eh quoi ! Le