à leur avènement politique un mérite aussi spécial, un caractère aussi exclusif qu’ils l’auraient souhaité. Ils voulaient néanmoins être exclusifs ; ils voulaient, par des motifs plus ou moins personnels, garder à eux seuls une autorité pour laquelle ils n’étaient, en somme, ni très mûrs, ni très indispensables. Comment donc justifier ce qu’il y avait d’intolérant et d’absolu dans cette prise de possession ?
A côté d’eux, ils rencontraient des écoles qui, traitant de niaiseries toutes les réformes politiques, visaient hardiment à reconstruire la société ; celles-là, du moins, s’écartaient assez de l’ancien régime, et l’on n’avait point à craindre de passer pour le continuer en leur tendant la main. Cette alliance s’opéra dans les mots tout au moins, sinon tout de suite dans les choses. Les républicains de la veille s’improvisèrent, tant bien que mal, socialistes du lendemain, et l’équivoque s’empara dès-lors de la situation. Il y eut même encore un pire mélange. Au-dessous des sectes sociales, dans les bas-fonds de tous les vieux complots, traînait une meute de conspirateurs émérites, qui, sans s’alambiquer l’esprit avec les théories des rêveurs, sans se proclamer les amis du genre humain, uniquement emportés par la folie du désordre ou par celle de la vengeance, allumaient à plaisir la haine du pauvre contre le riche, et ne songeaient jamais qu’à l’heure du bouleversement. Nous n’accusons pas, il s’en faut, tous ceux qui ont eu la main au timon de la république dans ces quatre mois d’épreuves ; mais nous ne pouvons nous empêcher de dire qu’il en est parmi ceux-là, et ce n’étaient pas les moins notables, qui ont gardé de bien étranges ménagemens, qui ont témoigné d’une condescendance bien inexplicable vis-à-vis de ces infimes anarchistes. Comme si ce n’était déjà pas trop d’éloigner d’eux les politiques raisonnables en s’unissant avec les utopistes, ils n’ont point hésité à s’aliéner les honnêtes gens en prodiguant leurs tendresses aux agitateurs subalternes. C’est par ce second biais qu’ils ont encore faussé leur position. Il leur a semblé que l’empire ne serait point assez à eux, s’ils ne l’achetaient tout ce prix-là, et ils n’ont pas inventé de plus honorable recette pour se mettre à l’abri des rivalités conquérantes que leur imagination jalouse se représentait toujours à l’affût.
Ainsi donc, les utopistes ont à loisir enseigné aux classes souffrantes que la souffrance allait être extirpée du sein de la société française, et qu’il ne tenait qu’aux chefs de l’état d’en finir d’un coup de baguette. Les anarchistes ont crié librement au coin des carrefours et dans les réceptacles des clubs la grande et permanente conspiration de l’aristocratie, dénonçant pour aristocrate et pour voleur quiconque possédait. Le gouvernement laissait dire, quand il n’applaudissait pas. Il parlementait d’égal à égal avec l’anarchie comme avec l’utopie, et tel était ce pacte mystérieux conclu soit avec l’émeute des idées, soit avec l’émeute de la rue, que nous en venions à ne plus savoir si c’était le gouvernement qui commandait l’émeute, ou l’émeute qui poussait le gouvernement. Le gouvernement provisoire et la commission exécutive, par laquelle il s’est perpétué, n’ont eu qu’une même attitude dans cette situation ambiguë, où l’une et l’autre paraissaient se complaire. Les projets financiers de M. Garnier-Pagès n’étaient guère que des gages donnés d’avance aux théories les plus radicales, et l’incontestable honnêteté de ses intentions ne suffisait pas à corriger les conséquences naturelles des systèmes qu’il entreprenait d’appliquer. Le sens des circulaires de M, Ledru-Rollin n’était douteux pour personne, et les amitiés, ordinairement