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lieu natal les retenait cependant encore sur ce sol inhospitalier. A Pilar seulement, nous pûmes respirer à loisir, et notre vue ne fut plus attristée par d’aussi affreux tableaux. Il faut avoir traversé les déserts baignés par l’Araguaïl et le Tocantin, pour connaître dans toute sa nudité l’état de misère et d’anarchie où languissent quelques parties du Brésil.

Nous approchions de Goyaz, et bientôt nous pûmes rentrer dans cette ville, salués non plus par des rires sardoniques, mais par des cris d’enthousiasme et de reconnaissance. Cette excursion sur l’Araguaïl nous avait offert comme un résumé des fatigues et des dangers de toute espèce qui attendent le voyageur sur les fleuves inexplorés et dans les forêts vierges du Brésil. Nous avions pu nous convaincre que l’absence presque totale de voies de communication est le plus grand obstacle qui s’oppose aux progrès de la civilisation dans ces contrées lointaines. Malheureusement trop peu d’efforts ont été tentés jusqu’à ce jour pour surmonter cet obstacle, et quelques incidens de notre excursion sur l’Araguaïl ont assez prouvé quelle est l’insouciance des Brésiliens pour ce qui touche aux élémens les plus essentiels de la prospérité d’un grand pays. Il serait à désirer que, prenant exemple sur les voyageurs européens, les Brésiliens se décidassent enfin à étudier sérieusement le vaste domaine qu’ils partagent encore avec la barbarie. Ce n’est pas assez d’exploiter, comme ils le font, quelques parties d’un immense territoire : il faut établir des relations suivies et fécondes entre ces diverses régions, séparées jusqu’à ce jour par des forêts et des plaines incultes. Aujourd’hui, nous l’avons dit, c’est pour le naturaliste et le poète que le Brésil a surtout des charmes ; c’est la nature inculte qu’on y vient étudier. Il serait temps qu’on y pût admirer aussi l’action bienfaisante de l’industrie, du travail, et le triomphe complet de la civilisation.


F. DE CASTELNAU.