plus gras, — il faut que chaque citoyen se considère comme ayant envers l’état des devoirs. L’un de ces devoirs est d’élever son fils. Néanmoins l’éducation primaire doit être à la fois gratuite et obligatoire. Que tout Français sache bien écrire, bien lire, bien compter ; que la grande et haute science, — ou classique et philologique, — ou positive et physique, — ou moderne et européenne, soit de difficile abord et qu’elle soit très bien récompensée. Que ce soit un honneur, un titre et une garantie pour l’avenir d’un enfant, de sortir le dixième ou même le vingtième, de l’une des trois universités, comme on sort de l’École polytechnique, vrai modèle d’école supérieure. N’abaissez rien, élevez tout. Si dans les rangs les plus pauvres un Newton ou un Dante se présentent, croyez-moi, ils feront aisément leur route dans une société ainsi préparée. Abattez votre pépinière de prétentieuses incapacités. Découragez la vanité, encouragez le talent. Soyez sévère, la sévérité est seule féconde ; elle est seule humaine et seule démocratique ; elle fait les peuples sensés et force l’humanité à ne pas s’avilir. C’est de l’énervement et de la faiblesse que naît la férocité. Aux États-Unis, fondés sur la dureté calviniste et sur une réglementation draconienne, la vie est austère, sérieuse et aventureuse ; elle a pour but la conquête définitive de la nature, but magnifique et redoutable. L’éducation y est bornée, mais excellente, parce qu’elle est une et qu’elle s’accorde avec la destination de tous. Chez nous, l’enfant subit dix éducations contradictoires, celle du de Viris et du citoyen Scipion, qui combat celle du père en général mondain et voltairien, et celle de la mère, femme à la mode, sans compter celle du catéchisme et l’influence des jeunes amis. Je ne parle ici ni de l’éducation des feuilletons épicuriens, ni du théâtre, ni de la Sorbonne, ni du vaudeville, ni du roman, ni peut-être des prédications de quelque apôtre tel que vous, mon cher Arnaud. Imaginez quelle doit être la confusion de ces teintes ou de ces demi-teintes, entassées par couches transparentes dans la même intelligence, et de quelle misère, de quelle anarchie, de quel néant elle doit être frappée sous ces incohérentes notions panthéistes, mystiques, matérialistes, catholiques, protestantes, démocratiques, aristocratiques, chevaleresques, poétiques, positives, astrales, géométrales, machiavéliques, rhétoriques et romanesques ! Si les maisons de fous ne se peuplent pas démesurément, je tiens le fait pour honorable à la nation.
— Croyez-vous remédier à tout cela au moyen de votre triple université, une et triple, classique, moderne et scientifique ?
— Du moins arracherai-je quelques enfans à l’inutile culture de la catachrèse et de la métonymie. Pendant que le lieu-commun s’étend chaque jour sur des espaces incommensurables de papier imprimé, la fausse opinion de notre société trompe une multitude de braves gens ; et les hommes de la main-d’œuvre, du labeur manuel, même les agriculteurs et les ingénieurs, même les chimistes et les physiciens, tombent