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la loi sur les successions et donations proposée par M. Goudchaux, tous ces projets sont des atteintes à la propriété, dirigées secrètement par le communisme, au nom de cette doctrine immorale que le salut du peuple est la loi suprême, cruelle doctrine qui a couvert de son voile funèbre les plus sacrilèges attentats de notre première révolution. Non, le salut du peuple ne saurait être dans la violation des lois que Dieu a inscrites depuis six mille ans au front de l’humanité, la loi du juste et de l’injuste, la loi du mal et du bien. Comme les individus, les nations doivent obéir aux lois de l’honneur ; elles se souillent, elles se rendent méprisables en les violant, et le respect de la foi jurée est la première de ces lois.

Comment donc ne s’est-il pas élevé un cri unanime dans l’assemblée nationale, quand on est venu proclamer effrontément ce principe inspiré par le communisme, que l’état a le droit d’annuler ses engagemens, sauf indemnité équitable, comme a dit M. Goudchaux dans son exposé du 3 juillet ! Qu’on ne vienne pas donner pour excuse de ce prétendu droit de spoliation au nom de l’état, que les compagnies de chemins de fer ne tenaient pas elles-mêmes leurs engagemens, car vous prétendiez exproprier aussi les compagnies exploitantes et qui depuis long-temps avaient terminé leurs travaux, comme celles d’Orléans et de Rouen. Quant aux autres, qui étaient incapables de terminer leurs lignes, parce que, pendant la crise commerciale, résultat de la révolution de février, elles ne pouvaient obtenir les versemens des actionnaires, je dirai aux partisans du rachat, puisqu’ils consentent à ne pas s’emparer purement et simplement du privilège et des travaux exécutés, puisqu’ils veulent bien admettre une indemnité qu’ils annoncent devoir être équitable, je leur dirai qu’il n’y a pas équité à profiter, pour exproprier les compagnies, d’un moment de dépréciation extrême dans la valeur des actions, dépréciation entièrement indépendante du fait des compagnies et produite par l’avènement même de la république. Si vous me répondez que l’état ne peut pas être responsable de la baisse des actions, que les nationaux peuvent bien payer, par la perte d’une portion de leur fortune, le bonheur et les avantages d’être gouvernés par la république, j’ajouterai que ce raisonnement, peu consolant et quelque peu rigoureux quand il s’adresse aux actionnaires français, tombe entièrement à faux à l’égard des actionnaires étrangers, qui ne sauraient profiter de tout le bonheur que votre nouvelle forme de gouvernement procure à la France, et qui se reprocheraient avec amertume d’avoir placé leurs capitaux chez une nation dont le gouvernement viole les contrats dès qu’il y trouve son avantage et suivant son bon plaisir. Je rougis en réfléchissant à ce que les nations étrangères auraient pu dire de notre pays, si la loi du rachat des chemins de fer eut été votée par l’assemblée nationale.