Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/568

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Babel, la veille de la confusion des langues, tout allait à merveille, tout le monde travaillait le cœur content et le bras dispos, parce que tout le monde s’entendait, parce qu’on apportait la brique à celui qui demandait de la brique et du mortier à celui qui demandait du mortier : aussi les murailles de la tour s’élevaient, et l’homme montait peu à peu vers le ciel ; mais voilà que, du soir au matin, tout à coup les travailleurs perdent le don de s’entendre, chacun parle un langage différent : l’un dit résistance, l’autre répond réforme, le troisième dit république. Alors la confusion vient, et avec la confusion, la ruine. Cette grande et belle industrie française se déconcerte ; le mouvement s’arrête ; plus de travail. C’est à ce moment que sont venus les esprits chimériques, qui ont promis de rendre à la machine le mouvement qu’elle avait perdu et qu’a été inventé le droit au travail : c’est la troisième phase de cette histoire de l’idée du travail que nous esquissons rapidement.

Le droit au travail est quelque chose de tout nouveau dans le monde, sous ce nom du moins, car au fond rien n’est plus ancien.

Le chrétien qui est obligé au travail cherche le travail, afin d’accomplir la loi de Dieu ; il obéit à la foi et à la nécessité. L’homme du XVIIIe siècle qui invoque la liberté du travail, l’invoque dans un esprit de fierté et d’indépendance personnelles. Le travailleur du XIXe siècle, ; tel que le conçoivent nos utopistes, n’est ni le chrétien qui se résigne, ni l’homme du XVIIIe siècle qui s’enorgueillit. Il croit, comme tous les deux, qu’il doit travailler, mais il ne croit pas que ce soit à ses risques et périls qu’il doive pratiquer ce droit. Il a sur le travail une sorte de droit absolu, indépendant de toutes les vicissitudes de l’industrie et de la société : il n’est pas, comme le chrétien, obligé au travail ; le travail est obligé envers lui, obligé à le nourrir. C’est ce dernier mot qui dit tout et qui indique dans quel esprit raison de le travailleur élevé à l’école des utopies modernes. Il a droit de vivre, non pas dans le sens que personne n’a droit de lui ôter la vie, mais dans le sens que la société est tenue de le nourrir. Le travail que l’ouvrier des utopistes consent à faire n’est que la forme sous laquelle la société s’acquitte envers lui de sa dette. C’est par le travail qu’il donne quittance à la société, dont il est le créancier. Avec cette doctrine, ne cherchez plus dans le travail ce qu’il produit, soit d’heureux changemens dans la matière, soit de bons sentimens dans l’âme humaine : ne cherchez qu’un moyen de faire vivre les gens. Le travail n’est qu’une occasion d’aumône sociale. On ne bâtit plus les Pyramides ou le Louvre pour créer de grande monumens, pour laisser une mémoire visible sur la terre : on bâtit pour nourrir les ouvriers ; on ne fait plus des tableaux et des statues à cause de l’art, on en fait à cause des artistes. Avec cette idée, peu