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armons-nous. Je n’ai qu’un conseil à vous donner : ayez confiance en Dieu et tenez votre poudre sèche. »

Un autre disait encore : « Quelle singulière position est la nôtre ! Le château est à quelques pas d’ici, sans garde ; toute l’Europe est debout et s’agite, et nous, les plus esclaves de tous, nous écoutons tranquillement des discours. On a dit que nos discours devaient être courts et aigus ; je dis qu’il n’y en a pas de plus bref, de plus aigu et de plus net que le son d’une carabine. Nos amis sont en route pour Paris ; dans quelques jours, ils reviendront nous dire sur quoi nous pouvons compter. »

Trois députés irlandais, MM. O’Brien, Meagher et O’Gorman, étaient en effet partis pour Paris. Ils y furent reçus, on s’en souvient, avec politesse, mais avec réserve. M. de Lamartine se refusa à donner aucun encouragement à l’insurrection irlandaise. C’était, à cette époque, un acte de courage autant qu’un acte de jugement ; la France et même l’Europe en recueillent aujourd’hui les fruits. Le langage que tint alors M. de Lamartine fit plus pour rallier à la nouvelle révolution française l’opinion publique de l’Angleterre que n’auraient pu faire tous les efforts de la diplomatie la plus habile. Disons aussi que la partie saine de l’opinion publique en France approuva et appuya les sentimens exprimés par le plus illustre représentant de la révolution. Le refus d’encourager des espérances chimériques n’impliquait point l’indifférence pour les maux de l’Irlande ; mais quiconque avait une notion un peu sérieuse de l’état de ce malheureux pays savait très bien que le rappel ou la république, l’insurrection enfin ne pouvait y rien changer, et que le parti qui venait demander à la France de compromettre pour lui la paix du monde était de tous le plus incapable de faire quelque chose de sa propre patrie. On peut voir aujourd’hui, du reste, si la position avait été bien jugée ; le résultat de la grande insurrection irlandaise est devant nos yeux.

C’était au commencement d’avril que la députation des confédérés était venue à Paris ; son voyage coïncidait avec la célèbre démonstration chartiste qui mit sur pied toute la population de Londres pour la défense de l’ordre, et qui avorta d’une manière si misérable et si burlesque. Le gouvernement anglais commençait à s’inquiéter du langage de plus en plus incendiaire tenu dans les meetings et dans les clubs. Il présenta alors la loi appelée crown-security-bill, bill pour la sécurité de la couronne. Cette loi n’était pas, comme on pourrait le croire, une aggravation de la pénalité existante ; il y avait déjà des lois contre la trahison, mais on ne voulait pas encore considérer comme crime de trahison ce qui se faisait en Irlande ; on voulait le ranger dans une catégorie inférieure, et, pour ne pas le punir de la peine capitale, y substituer celle de la déportation. Il y avait, dans les motifs qui firent