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violence qu’eux-mêmes avaient peut-être provoquée. On fut forcé de reconnaître que l’unité politique était impossible, du moment que la question des races était posée ; la Hongrie entrait en effet dans une série d’évolutions politiques qui pouvaient la conduire à une dissolution.

Assurément, il eût été désirable, il eût été généreux et prudent, de la part de chacune des populations entraînées dans ce mouvement des races, de mettre dans le débat de ces grandes affaires un sentiment de fraternité, ou du moins de réciproque tolérance. Le mal était venu des fatalités historiques ; les Magyars l’augmentèrent en conservant des ambitions irréalisables, revêtues trop souvent d’un langage irritant. Les Slaves, et surtout les Illyriens, y répondirent en demandant le rappel de l’union, et quelquefois par des hostilités flagrantes. Les Magyars avaient pris la position de dominateurs ; les Slaves firent bonne contenance dans celle d’opprimés.

Il en est résulté que le jour où la révolution triomphante a renversé M. de Metternich et le vieux système autrichien, le jour où les liens pesans qui tenaient enchaînés Italiens, Polonais, Bohèmes, Magyars, Valaques, Illyriens, ont été rejetés à la fois par toutes les populations de l’empire, ce même jour, les Magyars se sont vus menacés de toutes parts, au sud, à l’est, au nord, par chacun de ces peuples dont ils n’avaient pas su respecter le sentiment national. De là les protestations qui viennent de partir du sein du congrès slave de Prague, pour provoquer les Slovaques des Carpathes à la résistance. De là ces appels à l’unité roumaine que les jeunes républicains de Bucharest adressent à haute voix aux Valaques de la Transylvanie, De là enfin cette belliqueuse attitude des Croates, dont les ambitions, la jeunesse et l’audace se sont personnifiées naguère en Louis Gaj, l’O’Connell croate, et éclatent aujourd’hui en Jellachich, orateur, diplomate et soldat.

En Croatie, l’irritation dépasse toutes les bornes, et les patriotes illyriens, entraînés à leur tour plus loin que de raison, n’appellent que le moment de la guerre civile. Dans leur ardeur, poussée jusqu’à l’enthousiasme, ils portent aux Magyars les défis les plus audacieux. A les entendre, il faut que l’Autriche elle-même prenne les armes pour venger leur querelle. «Empereur ! disent fièrement les Croates dans un manifeste récent, si tu repousses nos vœux, nous saurons bien conquérir sans toi notre liberté, et nous préférons mourir héroïquement comme un peuple slave, plutôt que de porter plus long-temps un joug tel que celui que nous impose une horde asiatique de laquelle nous n’avons rien de bon à recevoir ni à apprendre. Empereur ! sache que nous préférons, au besoin, le knout russe à l’insolence magyare. Empereur ! pour la dernière fois, nous t’en supplions, conserve-nous dans ton intérêt et dans celui de ta monarchie ; mieux vaudrait, pour toi, perdre le plus beau fleuron de ta couronne que de nous abandonner, car nous ne voulons, à aucun prix, appartenir aux Magyars. Empereur ! songe que, si la Croatie ne forme que la trente-cinquième portion de ta monarchie, nos soldats croates composent, à eux seuls, le tiers de l’infanterie de ton armée. »

La menace est orgueilleuse ; elle part du cœur. Que peuvent répondre les Magyars ? Ils ont résolu de se mettre sur le pied de guerre, et certes nous pourrions dire, comme le ministre hongrois Kossuth après le dernier vote d’enthousiasme pour une levée extraordinaire de deux cent mille hommes : « Nous nous inclinons devant la grandeur de la nation magyare. » il y a en effet du courage