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première dénonciation, à venir comparaître devant leur barre. Enfin, et à ses côtés mêmes, un conseil d’état, sorti d’une double élection, dirigé par un vice-président de république, qui a bien l’air de devoir être toujours le concurrent du titulaire et son successeur en espérance, affranchi de toute subordination par son origine, affranchi de toute responsabilité par sa qualité purement consultative, donnant sur tous les actes d’un peu d’importance des avis qui seront des ordres, mais dont les conséquences ne retomberont pas sur sa tête, tel est le couronnement de ce bel échafaudage qui semble avoir pris pour tâche d’établir l’indépendance à tous les degrés, en concentrant la responsabilité sur le premier. En français, cela porte un nom, cela s’appelle l’anarchie.

Comment fonctionnera sur un chemin si raboteux une machine composée de pièces si discordantes ? Il ne faut pas se mettre en grand frais d’imagination pour le supposer. Le spectacle que nous en avons sous les yeux en donne une idée parfaitement juste. Les choses continueront à aller exactement comme elles vont, c’est-à-dire qu’elles n’iront pas du tout. Quelqu’un veut-il me dire en effet ce qu’est devenue l’administration en France depuis le 24 février ? Y a-t-il un arrondissement qui s’aperçoive qu’il a un sous-préfet ? Y a-t-il un département où le préfet soit compté pour quelque chose ? On me dira qu’on est souvent trop heureux, pour l’honneur et le repos du département qu’on habite, que les agens de la nouvelle administration consentent à se laisser oublier, et que, quand on se souvient de quelles instructions les fameux commissaires arrivaient armés dans leurs pachaliks respectifs, la profonde nullité où ils sont tombés et où la plupart d’entre eux ont la prudence de se maintenir, est encore un mérite négatif qui leur donne des droits à notre reconnaissance. En attendant, pour peu que la situation se prolonge (et la constitution, loin d’y porter remède, l’aggrave), de l’administration française, nous ne conserverons plus que les entraves, de la centralisation que ses gênes et ses dangers. Déjà on n’attend plus de Paris le mouvement et la direction ; mais on craint encore que Paris ne vous envoie une révolution par le télégraphe, et que de ce brasier enflammé ne rayonnent des courans de feu qui dévorent tout sur leur passage. Impuissante pour agir, l’autorité centrale est juste assez puissante pour tout entraver. Déjà on ne fait plus rien à la préfecture, mais on ne peut encore rien faire sans elle. Je ne parle pas de ces grands travaux publics qui vivifiaient et embellissaient nos provinces ; c’est le luxe de la société : il ne faut parler que du nécessaire. Pour ces mesures de sécurité et de défense qu’il n’est pas une pauvre commune aujourd’hui qui ne réclame, quelle entrave de ne pouvoir ni voter une dépense urgente ni faire mouvoir un bataillon de garde nationale sans aller chercher à dix ou quinze lieues l’approbation d’un petit souverain fainéant qui prend souvent, par une inertie