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aurait déjà par ses victoires sur leur imagination, — alors, pour l’honneur de la France, qui a fait tant de sacrifices à sa liberté politique, je ne veux pas savoir ce qui se passerait.

N’ayant rien à espérer de la constitution nouvelle, en ce qui touche le pouvoir exécutif, puisqu’elle ne lui donne aucune base solide et ne lui permet de trouver de force qu’en faisant jouer les ressorts extraordinaires des grandes crises, serons-nous plus heureux du côté de la représentation nationale ? Déjà privés (quelques efforts qu’aient pu faire les meilleurs esprits de notre constituante pour rectifier les préjugés de leurs collègues) du précieux auxiliaire d’une seconde chambre, pouvons-nous nous flatter du moins que l’assemblée nationale, unique dépositaire de tous les pouvoirs, sera constituée de manière non pas à servir les opinions d’un parti ou les intérêts d’une classe, mais à repousser sans effort et à décourager à la longue les passions qui attaquent aujourd’hui avec tant d’audace les lois providentielles du monde ? En vérité, ce n’est pas beaucoup demander au pouvoir législatif que de donner quelque garantie à l’ordre légal, et à ceux qui font les lois d’en être les défenseurs dévoués et non pas les ennemis jurés. Telle est cependant la funeste influence sous laquelle la constitution nouvelle paraît rédigée, que cette ambition si modeste a, je le crains bien, plus d’une chance d’être trompée,

Il faut se hâter, si l’on veut parler en liberté du mode d’élection que la constitution assigne dans l’avenir aux assemblées nationales. Si peu qu’on tarde en effet, toute discussion sur ce chapitre va presque devenir un délit de presse. Déjà une loi nouvelle, dans un louable zèle de répression, a mis sous la protection des tribunaux le suffrage universel ; un peu plus, et un amendement passait pour y comprendre aussi le vote direct des électeurs ; qui sait si demain on ne joindra pas parmi les questions qu’il est interdit d’agiter le scrutin de liste et l’élection de chaque représentant par la totalité des départemens ? C’est dans la pensée au moins de soustraire le système électoral à la discussion habituelle, qu’on a imaginé, par une innovation sans exemple, d’en faire un article de la constitution. Il faut croire qu’instruits par l’expérience, les auteurs de cette invention ont voulu éviter au gouvernement nouveau le danger des questions électorales, des pétitions et des banquets réformistes. Il y avait pourtant, ce me semble, quelque chose de plus pressant à faire, dans l’intérêt même du suffrage universel, que de le couvrir ainsi en quelque sorte d’un lambeau déchiré du manteau de l’inviolabilité royale. On protège mal les institutions (nous ne le savons que trop) en essayant de les soustraire à l’examen. Le suffrage universel existe aujourd’hui sans contestation sérieuse : le véritable ennemi contre lequel il est urgent de le protéger, c’est lui-même, ce sont ses dangers, ses tendances naturelles et ses abus possibles.