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prêt, il relève fièrement la tête et fait quelques pas pour venir se placer en face du peloton. On commande le feu, et il tombe sans mouvement, percé de plusieurs balles.

Quelques heures après, le chef de bataillon Harel, commandant du château de Vincennes, écrit au conseiller d’état Real, chargé d’instruire l’affaire, la lettre suivante, qui mérite de passer à la dernière postérité pour lui apprendre ce que devient la justice, quand la liberté n’est plus.


« Vincennes, 30 ventôse, an XII.

« CITOYEN CONSEILLER,

« J’ai l’honneur de vous instruire que l’individu arrivé le 29 du présent au château de Vincennes, à cinq heures et demie du soir, a été, dans le courant de la même nuit, jugé par une commission militaire et fusilé (sic) à trois heures du matin, et enteré dans la place que j’ai l’honneur de commander.

« J’ai l’honneur de vous saluer avec le plus profond respect,

«HAREL. »


On a écrit des volumes de mensonges pour répartir la responsabilité de ce meurtre, chacun des acteurs, directs ou indirects, cherchant à en faire peser la plus forte part sur son voisin. Napoléon, tout en revendiquant dans son testament, par une prétention qui serait un peu étrange si elle était mal fondée, tout en revendiquant pour lui cette responsabilité tout entière, a soin, dans ses entretiens de Sainte-Hélène, de se décharger le plus possible aux dépens de ses conseillers et de ses subordonnés, tant le poids d’un crime est lourd, même à qui se targue de ne le point sentir ! M. de Chateaubriand discute ces derniers témoignages. — Que Napoléon ait été trompé d’abord par de faux rapports qui le décidèrent à l’arrestation, cela paraît certain ; mais ce qui n’est pas moins certain, c’est que le jour où le prince arriva à Vincennes, Napoléon savait parfaitement à quoi s’en tenir sur la fausseté des rapports qui l’avaient décidé à le faire arrêter comme complice du complot de George. Il n’en ordonna pas moins de le mettre à mort, car à qui fera-t-on croire qu’un condamné de cette importance ait pu être exécuté sans un ordre formel du premier consul, que l’ordre soit antérieur ou postérieur à la condamnation ? Pourquoi donc ce meurtre ? Voici, d’après M. Thiers, les idées qui s’emparèrent malheureusement du premier consul et de ceux qui pensèrent comme lui en cette circonstance, c’est-à-dire au moment où l’on fut obligé de reconnaître qu’on s’était trompé sur la culpabilité du prince. « On tenait un de ces princes de Bourbon auxquels il en coûtait si peu d’ordonner des complots, et qui rencontraient des imprudens ou des fous toujours prompts à se compromettre à leur suite ; il en fallait faire un exemple terrible