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l’étendard teutonique, le ministre de l’intérieur commanda de procéder aux élections ; mais, à Prague, le comte Stadion, encore en place à ce moment-là, notifia au comité national une circulaire ministérielle qui, sans même prescrire immédiatement ces élections, avertissait au préalable qu’on ne voulait point les rendre obligatoires, et que les districts tout entiers, comme les individus, étaient libres de s’abstenir. Cette licence, dont le but était clair, ne satisfit point cependant les Tchèches. Le 24 avril, trois députés du comité national allèrent porter à l’empereur une pétition dans laquelle on lui demandait de suspendre toute convocation électorale jusqu’à ce que la diète de Bohême eût résolu la question de savoir si l’on serait annexe de l’empire allemand. Les pétitionnaires suppliaient sa majesté de ne point subordonner ses résolutions à celle de l’assemblée de Francfort, et, fermement attachés eux-mêmes à l’Autriche, ils avaient besoin, pour se rassurer sur la solidité de tout l’état, que l’Autriche ne dépendît point de l’Allemagne, jusqu’à risquer ainsi, au premier appel des Allemands, cet essai chanceux d’élections générales. Les pauvres Allemands de Prague auraient bien désiré se donner tout de suite des députés ; mais on leur expliquait nettement qu’il n’y fallait point encore songer, sous peine de désordre public, et, fort mal résignés, ils envoyaient aussi solliciter à Vienne, en se plaignant qu’on eût gardé quatorze jours sans le publier l’arrêté qui annonçait les élections. On les accueillit d’assez mauvaise humeur. Ballottés d’antichambre en antichambre, du vice-roi au ministre, du ministre au burgrave, ils eurent le chagrin de voir la députation tchèche prendre partout le pas sur eux. M. de Pillersdorf n’inventa rien de mieux que de leur offrir la complicité de son silence, au cas où les Allemands de Bohême pourraient s’entendre sous main pour nommer entre eux des députés à Francfort, sans qu’on eût ainsi l’embarras d’offenser les Tchèches par une convocation officielle. L’expédient du timide vieillard était une injure de plus ; il sembla que le burgrave Léon Thun voulait encore ajouter à la confusion des délégués du cercle allemand. Maurice Hartmann lui disait avec chaleur qu’il n’était plus permis de porter les couleurs de l’Allemagne dans les rues de Prague. « Je dois vous avouer que je ne les aime pas non plus, » répondit le burgrave en montrant du doigt le ruban noir rouge et or qui était à la boutonnière du poète. La députation se retira le désespoir dans l’âme, donnant au gouvernement l’avis solennel que les Allemands de la Bohême se protégeraient par la force, eux et leurs insignes nationaux, puisqu’on les abandonnait décidément à la rancune d’une race étrangère.

M. de Pillersdorf prit enfin son parti ; il fallait éviter l’intervention publique des cinquante, à laquelle les Allemands menaçaient d’avoir recours. La Gazette de Vienne du 3 mai promulgua l’arrêté qui