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Ce que j’ai dit de l’installation du gouvernement provisoire peut servir à faire comprendre pourquoi il s’appliqua si activement à arrêter l’élan populaire et à sortir de la crise révolutionnaire. L’histoire de ce gouvernement, mi-parti de républicains et de monarchistes, ne se compose guère que d’une suite de concessions échangées entre ses membres, qui n’étaient ni ralliés par une pensée commune ni soutenus par un même principe. Ce fut pour se rendre mutuellement la vie plus douce que les gouvernans milanais mirent au jour ce fameux système d’impartialité, moyennant lequel la Lombardie se vit soumise à un pouvoir qui n’avait ni tendances monarchiques, ni tendances républicaines. A tous ceux qui croyaient qu’un gouvernement ne pouvait exister qu’à la condition d’être ou monarchique ou républicain, ils répondaient qu’ils n’étaient là que provisoirement, que le peuple n’avait pas fait connaître sa volonté, et qu’eux-mêmes voulaient demeurer neutres, pour n’exercer sur lui aucune influence et ne pas le gêner dans ses futures déterminations. Cette neutralité n’était pourtant que le chaos. Les gouvernans monarchiques obéissaient à la direction donnée par Charles-Albert et s’efforçaient non-seulement de rallier autour de lui la majorité des Lombards, mais aussi d’éteindre dans le cœur de ces derniers toute ardeur patriotique, toute étincelle démocratique, de façonner enfin les Lombards à l’image du peuple de Turin, afin que Charles-Albert, en les admettant au nombre de ses fidèles et trop heureux sujets, n’eût rien à craindre ni de leur caractère, ni de leurs principes. Le parti républicain, d’un autre côté, représenté au pouvoir par le marquis Guerrieri, par le secrétaire M. Correnti et par un ou deux autres personnages, voyait sans regrets les fautes nombreuses commises par la fraction monarchique du gouvernement ; il donnait même les mains à ces fautes, se flattant peut-être de perdre par là le parti monarchique et constitutionnel, mais oubliant d’empêcher que le pays ne fût entraîné dans sa ruine.


II.

Ce système de neutralité ne tarda pas à porter des conséquences funestes dans toutes les branches de l’administration. Parlons d’abord de la police, dont j’ai déjà nommé le chef. M. Fava était, à proprement parler, le président d’un triumvirat dans lequel résidait toute la puissance politique de l’état. Le troisième membre de ce comité, M. Lissoni, jouissait d’une bonne renommée, qu’il méritait sans doute. Le second, M. le baron de Sopransi, était un avocat fort distingué, mais attaché de cœur à la maison d’Autriche, lié d’amitié avec tous les personnages du gouvernement autrichien et de la police de Lombardie, ainsi qu’avec les membres des trop célèbres commissions spéciales