Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/807

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

colonel. Le duc était animé de la meilleure volonté, mais il ignorait jusqu’aux premières notions de l’art militaire. Il choisit pour ses officiers des Piémontais dont la capacité était des plus équivoques, puisque tous les bons officiers de cette nation occupaient leur place à l’armée du roi Charles-Albert. La discipline était bannie de ce régiment, composé d’hommes grands et forts, mais grossiers et dépravés, accourus sous le drapeau parce que la solde était de trente sous par jour. Un autre régiment, celui des chevau-légers, avait pour colonel le comte Max Caccia, excellent officier de l’armée française ; mais l’intelligence même du jeune colonel et la connaissance qu’il avait du service militaire ne faisaient que lui rendre sa position plus pénible. Je ne citerai qu’un exemple des désagrémens qu’il eut à essuyer. Pendant trois mois, il demanda vainement des chevaux pour ses soldats, et, n’ayant obtenu, au bout de ce temps, que des chevaux de deux ans et demi, incapables de servir, il dut envoyer sa démission. La triste situation du pays qu’il était appelé à défendre, l’engagement que prit enfin l’administration de faire droit à ses demandes, le décidèrent pourtant à revenir sur sa détermination et à rester à son poste.

La lenteur et la maladresse des chefs qui avaient organisé l’armée, l’incapacité, l’improbité même d’un trop grand nombre d’agens chargés de subvenir aux dépenses militaires, devaient paralyser, il faut en convenir, le gouvernement le mieux intentionné. En eût-il été autrement d’ailleurs, eût-on rencontré des agens plus zélés, plus habiles, pour seconder des vues mieux arrêtées, il eût encore été impossible aux organisateurs les plus capables de former une bonne armée en deux ou trois mois. La population lombarde le sentait bien ; c’est pourquoi elle hésitait à prendre du service dans les troupes régulières, et préférait entrer dans les corps francs. C’était là, à vrai dire, la seule voie ouverte à toute une population qui, étrangère depuis trente-six années aux sévères exigences de la vie militaire, ambitionnait néanmoins de se distinguer dès ses premiers pas dans la carrière des armes. Plusieurs bandes de volontaires se formèrent dès les premiers jours qui suivirent la révolution milanaise, et partirent pour le Tyrol italien, se dirigeant du côté des lacs de Garda et d’Idro. Tout ce que les familles les plus distinguées de la ville comptaient de jeunes gens dévoués et ardens s’enrôlèrent dans ces corps, sans distinction de classes, sans ambition de grades. Ces colonnes de volontaires, ainsi formées à la hâte, n’étaient, dans la pensée des citoyens, que l’avant-garde de corps plus considérables que le ministère de la guerre allait s’empresser d’organiser. Quel ne fut pas leur douloureux étonnement, lorsqu’ils entendirent les chefs du ministère ne parler qu’avec un profond dédain de la noble jeunesse qui venait de se porter avec un si généreux enthousiasme au-devant de l’ennemi ! Non-seulement on