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est stérile et fallacieuse, parce que ceux qui la pratiquent s’en prennent à la lettre de l’œuvre qu’ils voudraient reproduire, et qu’incapables d’être jamais émus, ils croient faire illusion et simuler la passion qu’ils ne ressentent pas en imitant par artifice le langage de l’amour. Ceux-ci sont des plagiaires qui ne trompent personne, ceux-là sont des disciples qui fondent des écoles. L’antiquité a exprimé ce double phénomène de l’imitation, au point de vue de l’esprit et de la forme, par une fable charmante et profonde. Lorsque Prométhée conçut le projet insensé de créer un homme avec un peu d’argile et un peu d’eau, il s’aperçut que l’être qu’il venait de façonner avec ses mains avait un petit défaut, le même défaut dont était affecté aussi le cheval de Roland : c’est qu’il ne marchait pas. Prométhée fut obligé de remonter au ciel pour y chercher une étincelle de vie dont il pût animer sa froide créature. Il en est ainsi des plagiaires, qui peuvent bien dérober aux maîtres les artifices du langage ; mais il n’y a que le disciple, que le fils légitime, qui ait la faculté de reproduire le génie de son père.

La carrière si courte et si brillante de Donizetti peut se diviser en deux phases assez distinctes : dans la première, qui commence en 1818 et se prolonge jusqu’en 1831, il ne fait qu’imiter avec plus ou moins de bonheur et de dextérité les idées et la manière de Rossini ; dans la seconde, qui dure jusqu’en 1845, sans rompre tout-à-fait avec celui dont il procède, Donizetti développe les qualités particulières de son talent, qu’il ajoute à l’héritage paterned. Parmi les soixante et quelques opéra qui sont sortis de sa plune trop facile, voici quels sont les plus remarquables et les plus connus : Anna Bolena, Parisina, Lucrezia Borgia, Lucia, Marino Faliero, la Favorite, l’Elissire d’amore et Don Pasquale. Dans chacun de ces ouvrages, il y a des morceaux distingués ; Marino Faliero, Lucrezia Borgia, les Martyrs, contiennent même des pages d’une haute et belle facture. Cependant il nous semble que les meilleures qualités de l’auteur se trouvent résumées dans Anna Bolena, Lucia et la Favorite pour le genre sérieux, dans l’Elessire d’amore et Don Pasquale pour l’opéra buffa.

Anna Bolena, comme nous l’avons dit, avait été composé à Milan pour Mme Pasta, Rubini et Galli. Le sujet du libretto, tiré de l’histoire d’Angleterre, était parfaitement choisi pour faire ressortir les qualités dominantes des trois virtuoses que nous venons de nommer. Dans le premier acte, on remarque tout d’abord la charmante romance Deh ! non voler costringere, d’un caractère si suave, et l’air que chante la pauvre Anna Bolena, Corne innocente Giovane, où les souvenirs d’enfance, les regrets d’un premier amour et les désabusement de la grandeur sont exprimés d’une manière si touchante. Vient ensuite l’air si connu Da quel di che lei perduta, que chante Percy, l’amant secret de la reine. Le passage qui accompagne ces mois :