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vénérés non-seulement de l’Angleterre, mais de l’Europe. Je dois aussi exprimer le doute que ce soit là la manière la plus heureuse de témoigner de cette charité que votre seigneurie éprouve sans aucun doute, mais dont elle déplore l’absence chez les autres, et de calmer ces sentimens d’amertume que votre seigneurie, de concert avec tous les hommes de bien, doit sincèrement regretter. »

Lord John Russell ne se laissa pas émouvoir par cette rude riposte, et, avec le même sang-froid que s’il eût pratiqué l’opération de la pierre, il répondit purement et simplement en envoyant au chapitre d’Hereford le congé d’élire, c’est-à-dire l’invitation de procéder à l’élection de l’évêque. Ici, nous entrons dans une autre phase de la résistance ; les évêques font une halte et mettent sur le premier plan le doyen du chapitre. Comme l’avait dit l’évêque d’Exeter, la loi avait bien la puissance de faire emprisonner les récalcitrans, mais elle n’avait pas celle de les faire agir et vouloir. Le doyen de Hereford, dans une longue lettre qu’il adressa à la reine, et dans laquelle il récapitulait tous les griefs de doctrine imputés au docteur Hampden, pria humblement sa majesté de choisir un autre candidat. Le ministre de l’intérieur se contenta de répondre au doyen qu’il avait mis sa pétition sous les yeux de la reine, et qu’il n’avait reçu de sa majesté aucune instruction à son égard. Le doyen écrivit une seconde lettre, qu’il adressa cette fois à lord John Russell, et dans laquelle il déclarait au premier ministre « qu’aucune considération terrestre ne le déterminerait à donner son vote pour l’élévation du docteur Hampden au siège d’Hereford. »

La réponse de lord John Russel ! fut caractéristique. Nous pouvons nous donner le plaisir de la citer en entier ; elle prend peu de place. La voici :


« Abbaye de Woburn, 25 décembre.

« J’ai eu l’honneur de recevoir votre lettre du 22 courant, par laquelle vous me faites part de votre intention de violer la loi. « J’ai l’honneur d’être votre obéissant serviteur.

« J. RUSSELL. »


Comme on le voit, la lutte s’engageait vivement de part et d’autre. Le doyen disait : « Vous pouvez me mettre en prison, mais vous ne me ferez pas voter malgré moi. » Lord John Russell, de son côté, tenait suspendues sur la tête de l’infortuné chanoine les foudres du prœmunire, et laissait planer sur lui la vague menace de la prison, de la confiscation et autres peines très temporelles. On crut un moment qu’on allait revoir, au milieu du XIXe siècle, une addition au martyrologe, et les bonnes âmes commençaient à répandre des larmes sur la captivité du doyen. Hélas ! la commisération publique n’eut pas lieu de se déployer : soit que le doyen se fût avancé plus loin qu’il ne voulait aller, soit qu’il ne se vît pas soutenu par le reste du clergé, toujours est-il qu’il finit par se soumettre. Décidément, le vent n’est pas au martyre