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enfans ; puis, pour proportionner les ressources aux besoins, il faudrait encore que le pouvoir social pût gouverner les saisons ou en prévoir les variations ; il faudrait qu’il fût magicien ou astrologue, car la condition de toute subsistance et de tout produit est enfermée dans l’incertitude des récoltes qui fournissent les alimens et les matières premières. Et quand tout cela serait possible, qu’aurait-on obtenu ? Une société mise en cage qui vendrait à chaque instant, sous toutes les formes de l’activité humaine, son indépendance, c’est-à-dire l’essor de sa grandeur vers l’infini, pour le plat de lentilles et l’assouvissement brutal de la bête. Mais tout cela est impossible. Non, vous n’enlèverez jamais radicalement l’inconnu, l’imprévu, l’incertain des lois du travail et de la répartition des produits ; car le besoin réside dans l’homme, où il s’agrandit par le désir auquel aucune prévision ne peut assigner des bornes, et la satisfaction du besoin dépend de la nature, que l’homme s’approprie partiellement, il est vrai, mais qui toujours aussi, par ses lois et ses accidens mystérieux, échappe en partie à nos prévisions ou à nos forces.

Si je ne devais rester fidèle au plan de cette étude, je montrerais dans l’examen détaillé des diverses utopies socialistes tous les non-sens, toutes les contradictions, toutes les impossibilités où cette fondamentale erreur les entraîne ; mais cette réfutation serait maintenant superflue après la série de publications qui ont discuté sous toutes les formes les erreurs pratiques du socialisme. Je n’ai sur ce point qu’à renvoyer le lecteur aux ouvrages que j’ai indiqués en tête de ces lignes. C’est un devoir surtout d’insister plus particulièrement sur un livre d’une portée bien plus haute, les Lettres sur l’organisation du travail, de M. Michel Chevalier. Les circonstances au milieu desquelles ces lettres ont paru ajoutent le mérite du citoyen au talent de l’économiste. Je ne sais plus quel Omar de la veille, quel barbare de l’invasion de février venait d’enlever à l’économie politique et à M. Michel Chevalier sa chaire du Collége de France ; c’était la même chaire où M. Michel Chevalier avait si dignement remplacé ce martyr de la cause conservatrice et libérale, l’infortuné M. Rossi. M. Michel Chevalier répondit noblement et courageusement à cette mesure du pouvoir révolutionnaire, qui, fidèle à ses stupides instincts de destruction, étouffait la voix de la science, au moment où il donnait au socialisme une tribune au Luxembourg et une armée dans les ateliers nationaux. M. Michel Chevalier en ce moment même reprit avec la plume, nos lecteurs s’en souviennent, cet enseignement sensé, savant, ingénieux, toujours élégant, quoique pratique, qui lui a marqué une place si élevée parmi les économistes contemporains. Telle est l’origine des Lettres sur l’organisation du travail, qui, malgré toutes les publications qui l’ont suivie en foule, demeurent le livre le plus complet que nous possédions sur les questions sociales