Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/1029

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins sujette aux entraînemens et moins prompte à l’injustice. Notre idéal politique n’est pas de ce monde improvisé dans lequel la France roule désormais à travers les hasards ; il n’a point à espérer de place entre toutes ces réalités étranges qui paraissent sur notre horizon, pour s’y disputer ou s’y attribuer l’empire ; il est relégué dans le plus profond de nos souvenirs, et ce n’est pas notre faute si le spectacle des aberrations de la démocratie républicaine nous ramène chaque jour à mieux apprécier les lois sur lesquelles reposait la démocratie constitutionnelle. De ce point de vue si complètement désintéressé, nous ne pouvons jamais sentir un goût bien vif pour les ébauches plus ou moins imparfaites auxquelles notre état politique semble dorénavant condamné. Aussi les envisageons-nous d’un grand sang-froid, tant qu’elles ne sont pas décidément des périls pour l’ordre social tout entier. Dès qu’elles n’ont pas été jusque-là, nous n’en avons point maudit, nous en avons plaint les auteurs ; nous les avons même quelquefois remerciés de s’être dévoués, soit illusion, soit conscience, de s’être dévoués à leur tâche ingrate. C’est le propre d’une pareille tâche d’user rapidement ceux qui l’acceptent. On n’entreprend pas d’introduire chez un peuple un régime dont il faut commencer par forcer l’apprentissage, on ne s’établit pas le missionnaire ou le ministre d’une église de minorité, sans laisser beaucoup de soi par les chemins, sans fatiguer sa fortune ou compromettre son nom. Que si les circonstances imposent aux uns ou aux autres cette rude besogne, nous sommes toujours prêts à leur tenir compte de leur bonne volonté ; quand le sort les trahit, quand leur impuissance se découvre en face des impossibilités, nous sommes plus tentés de les excuser que de les accabler, et si par hasard on avise sous leur abnégation quelque ambitieuse fantaisie, nous leur pardonnons encore ce mauvais grain qu’il y a dans toute cervelle humaine, en considération du loyal effort qu’ils ont fait.

Cette impartialité un peu flegmatique, nous l’avions pour le gouvernement qui a conduit la France jusqu’aux élections ; nous l’aurons pour le gouvernement que le suffrage universel doit nous donner à la place de celui-là. Aujourd’hui que les ardeurs de la lutte vont bientôt s’éteindre, nous nous félicitons plus que jamais de n’avoir pas imité les exagérations de la polémique quotidienne. Le général Cavaignac a commis plus d’une faute, et nous les avons toutes relevées ; il s’est, dernièrement encore, remis en mauvais cas, en s’empressant trop d’utiliser au profit de sa candidature le bruit incertain de l’arrivée du saint père ; pour le service particulier de cette même candidature, il a trop à la légère porté la main sur un grand service public, en retardant six heures pleines l’expédition des courriers. Ce sont là des procédés qui nuisent plus qu’ils n’aident à ceux qui les emploient ; ce ne sont pas pour nous des raisons suffisantes d’oublier la reconnaissance que l’on vouait en juin au vainqueur des barricades. M. Dufaure aussi a montré parfois moins de résolution qu’il n’en devait avoir en son poste, et le triste échec que lui a valu la fameuse liste des récompenses nationales n’a pas laissé d’endommager sa bonne renommée d’application et de gravité administratives ; mais, même après cette défaite si cruellement exploitée, nous nous rappelons toujours le contentement avec lequel le public accueillit son entrée dans un cabinet républicain. Pourquoi n’a-t-il pas été toujours cette garantie vivante qu’on avait attendue ? Telle est souvent la rigueur des situations, qu’elle trouble les intentions les plus droites.