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aux intérêts nationaux du pays ? Quand tout nous échappe ou se retourne contre nous, quand les excès de la multitude dégoûtent presque de la liberté, quand les rudesses du pouvoir compromettent peut-être la cause de l’ordre, quand on se sent près d’hésiter entre les impulsions de l’ame qui se soulève à l’aspect des chaînes nouvelles et les conseils de la raison qui commandent une douloureuse résignation, quand on est las des querelles de parti et harassé des perpétuelles récriminations du moment, à quoi vouer un dernier culte, sinon à la patrie elle-même, considérée dans ses rapports avec les nations étrangères ? À ce point de vue, je ne suis pas, je l’avoue, complétement détaché du gouvernement actuel. Il m’apparaît toujours, quoi que j’en aie, comme le représentant du pays au dehors. Je sens que ses paroles et ses actes nous engagent tous, tant que nous sommes, et, loin de le vouloir juger sévèrement, je lui souhaite sincèrement en toute occasion habileté, sagesse et succès. L’impartialité est-elle impossible pour le passé seulement ? Ai-je tort d’en demander un peu pour la politique extérieure de l’ancien gouvernement ?

Selon moi, cette politique a été non-seulement mal appréciée, mais, si je ne me trompe, souvent très peu connue. Les documens officiels produits aux chambres et les discours des hommes parlementaires ont quelquefois servi à obscurcir la vérité qu’ils étaient censés révéler. En d’autres occasions, par routine et par paresse d’esprit, défauts plus communs chez nous qu’on ne pense, on n’a pas même essayé de percer les premiers voiles, on s’en est volontairement tenu aux apparences. De là de singuliers changes donnés à l’opinion publique. Peut-être un exposé impartial de la diplomatie des dix-huit dernières années et le récit fidèle de quelques incidens qui ont passé inaperçus, ou qui n’ont point été présentés sous leur vrai jour, auraient-ils quelque chance d’éveiller la curiosité. Peut-être aussi ne serait-ce pas faire acte de mauvais citoyen que d’aider les esprits droits et sérieux de tous les partis à faire justice des fausses versions trop accréditées et des lieux communs qui ont eu trop long-temps cours. Pourquoi les hommes consciencieux qui ont jadis blâmé la direction donnée à nos affaires extérieures trouveraient-ils mauvais qu’on les invitât à instruire une seconde fois cette cause, à se former une nouvelle opinion, si on était en mesure de leur produire des pièces qu’ils n’ont pas connues, de leur raconter des épisodes qu’ils ont ignorés ? Pendant dix-huit ans de luttes parlementaires, l’ancienne opposition constitutionnelle a rempli brillamment le rôle assigné dans les pays libres à ceux qui savent user des droits garantis par les institutions et s’y renfermer. Par leurs talens, par l’autorité de leurs jugemens, ses orateurs ont continuellement tenu en éveil les ministres qu’ils combattaient. Leurs critiques, leurs exigences, même excessives, ont servi la chose publique en obligeant les dépositaires du pouvoir à