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L’on disait dans la matinée du 4 que les Autrichiens étaient à cinq milles de Milan, à peu de distance du parc d’artillerie piémontais établi à Noverasco. Le roi et le gros de l’armée piémontaise campaient en dehors de la porte Romaine et dans les alentours, c’est-à-dire du côté de Noverasco même. Les Autrichiens avaient-ils donc pu s’avancer jusqu’à la porte Romaine sans rencontrer l’armée piémontaise, et sans que les Milanais eussent été avertis par cette armée de l’approche de l’ennemi ? Si impossible que cela parût, il fallait bien l’admettre. Moi-même, m’étant dirigée vers la porte Romaine, du côté où le canon se faisait entendre, j’avais été témoin de la fuite de la population surprise par les bombes ennemies, au moment où elle travaillait à des barricades près des murs de la ville. Je m’étais rendue alors en toute hâte au comité de défense, dont les membres, tranquillement occupés à rédiger des ordres du jour, se refusèrent un moment à croire à la gravité du péril que je leur signalais comme imminent. Comment admettre, en effet, les nouvelles que je leur apportais, lorsqu’on savait l’armée piémontaise réunie devant nos murs ? Pourtant le doute ne fut bientôt plus permis. La population avertie se trouva en un instant sur pied. La garde nationale se porta en foule du côté où l’ennemi commençait le bombardement : elle le repoussa, lui prit cinq canons, lui fit deux cents prisonniers, et le força de se retirer à deux ou trois milles en arrière. En même temps, le son du tocsin apprenait à tous les habitans que Milan était en péril et réclamait le secours de leurs bras. Les larges dalles de nos rues furent enlevées ; des barricades se trouvèrent construites comme par enchantement avec les voitures et les meubles des maisons voisines. Des mines furent préparées en certains lieux. Milan présentait un amas de pierres et de projectiles, une forêt de petites citadelles, de forts et de redoutes, devant lesquels les meilleurs soldats auraient pu hésiter.

Les gardes nationaux étaient rentrés à la tombée de la nuit. Ils avaient vu l’ennemi, ils avaient reçu son feu et l’avaient forcé à reculer. Ce premier succès avait achevé d’exalter la population. On se disait que les Autrichiens attaqueraient en force au point du jour, et la nuit du 4 au 5 parut longue à tous.

Cette nuit, la garde nationale veilla sur les remparts, la population aux barricades. La ville fut illuminée ; le roi s’était enfin décidé à entrer à Milan pour se soustraire, disait-il, au danger d’une attaque imprévue, et il était venu se loger au palais Greppi, dans la Corsia del Giardino, au centre même de la cité. L’on sut plus tard qu’une assez grande partie de l’armée avait aussi quitté le même soir ses positions autour des murailles extérieures pour se retirer dans la ville. La journée du 5 était déjà commencée, et le canon ne se faisait pas entendre encore. Chacun se demandait en hésitant ce que signifiait ce