éclairée, la république conservatrice et possible, n’a donc emporté qu’une nomination sur trois dans Paris. Vainement on groupera les chiffres pour couvrir la défaite ; il est plus utile de la reconnaître et d’en profiter. Frappons-nous la poitrine et disons notre mea culpa. Les classes favorisées de la fortune ne sont pas encore sorties de la langueur où les avait peu à peu plongées l’habitude d’une domination trop facile. Amollies par les commodités d’un bien-être trompeur, susceptibles d’un accès d’énergie à l’heure d’un combat sanglant, elles ne savent pas assez ce que c’est que la persévérance politique. Sur 400, 000 électeurs inscrits, il n’y a guère que la moitié qui ait voté. Les vides des quartiers riches ont été plus sensibles que ceux des autres : on n’aura pas voulu manquer l’ouverture de la chasse.
Les principaux organes de la presse ont, de leur côté, sacrifié trop entièrement à cette sorte de compromis que nous indiquions tout à l’heure, et, pour montrer qu’ils dépouillaient sincèrement le vieil homme, ils ont fait en pure perte trop belle part à des hommes trop nouveaux. Tout le monde est convaincu maintenant que, sans ces tempéramens qui n’ont servi personne, le nom du maréchal Bugeaud fût sorti de l’urne parisienne. Nous devons la vérité à nos amis ; nous n’avons, quant à nous, d’autre rôle dans la presse que de parler vrai, vrai sur tout. Disons-le donc aussi d’autre part, nous regrettons que l’abnégation n’ait pas été plus à l’ordre du jour parmi les candidats de notre république ; on a donné quelques nobles exemples, ils n’ont pas été assez suivis, nous aurions pensé qu’ils le seraient. Nous ne saurions trop le répéter, la bourgeoisie n’aura pas de pire ennemi qu’elle-même, si par une coupable nonchalance elle se refuse à l’apprentissage des vertus politiques. Elle a déjà par sa nature une pente involontaire vers de certains défauts sans grandeur, qui la mineraient bien vite en ces jours de grands périls. Il n’y va plus dorénavant de ces luttes courtoises, de ces tempêtes au clair de lune qui permettaient à toutes les petites passions de se caresser elles-mêmes si doucement. La bourgeoisie n’a plus à se battre en tant que bourgeoisie ; il faut qu’elle prenne pied sur le large terrain des intérêts universels de la société bien entendue, il faut qu’elle élève son cœur à la hauteur d’une tache de civilisation. Ce n’est point à cette hauteur-là qu’on souffre encore du tiraillement des jalousies mesquines, ou qu’on brigue, à force de complaisances, la popularité sans la dignité. Le premier devoir de tout homme politique, aujourd’hui plus que jamais, c’est de tenir beaucoup à sa propre estime. Nous le demandons à M. Billault : a-t-il été très content de lui, quand l’autre jour il est venu prêcher le droit au travail, comme il prêchait jadis l’alliance allemande, uniquement pour devenir quelqu’un à lui tout seul ? Nous le demandons à M. Dupin, à M. Hugo. M. Hugo avait-il bien bonne grace, dans la question de la peine de mort, de s’associer si intimement au peuple de février pour fouler d’un pied majestueux les débris de ce trône dont naguère il ménageait mieux les splendeurs ? Si belle que fût l’antithèse, était-ce à l’ancien pair de France de faire du trône, dans une phrase, le pendant de l’échafaud ? Et M. Dupin, a-t-il eu si fort de quoi se réjouir, quand, en combattant le système des deux chambres, il moissonnait les bravos des plus purs républicains pour avoir détaché quelque sarcasme contre « l’esprit de réminiscence ? » Il a si bien le don d’oublier, qu’il devrait être plus indulgent pour ceux qui ont le tort de se souvenir. Non, ce n’est pas cette courtisanerie ou rustique ou prétentieuse, non,