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frère, que j’ai eu la joie de trouver en bonne santé, m’a remis vos trois chères lettres… Combien les consolations que vous me donnez m’ont fait de bien ! Il est vrai que, pour apporter un soulagement aux douleurs profondes, les grands discours sont superflus ; mais quelques paroles parties du cœur sont inestimables, et je les ai trouvées dans votre si excellente lettre. Je vous rends graces aussi de m’avoir appris que vous avez le bonheur de posséder encore madame votre mère. Puissiez-vous la voir long-temps jouir de votre amour et de vos soins ! Hélas ! celle que nous pleurerons toujours était aussi heureuse par l’attachement de ses enfans. Si, dès l’âge de seize ans, j’ai presque toujours été séparé d’elle, sa sollicitude m’a toujours suivi. Elle n’a ignoré aucun événement de ma vie. C’est à elle que je dois le courage et la persévérance que j’ai eus. Elle s’est séparée de son plus jeune enfant à ma demande pour me donner une compagnie qui m’était nécessaire, et ce sacrifice a été suivi d’exhortations et de conseils où sa force d’ame se faisait voir tout entière. Ses précieuses lettres seront à jamais pour nous une source inépuisable de réflexions et de regrets ; mais elles nous rappelleront aussi continuellement les vertus qu’elle possédait, et qu’elle a toujours cherché à inculquer en nous. Que de bénédictions j’adresse à la divine intelligence pour m’avoir donné la triste et grande satisfaction en même temps de la voir encore ! Si mon cher frère Aurèle eût eu le même bonheur, cette mère adorée aurait eu le plaisir de voir tous ses enfans vivans à son lit de mort : — fin calme et résignée, où elle a eu encore le courage de nous engager à modérer une douleur que nous ne pouvions pas toujours lui cacher !…

« … Je ne connaissais pas le nord de l’Italie, et j’ai voulu me donner la satisfaction de le visiter avant de retourner me mettre sous le joug à Rome. En allant, j’avais passé par Florence, Pise et Massa, Gênes, Turin, le mont Cenis ; en revenant, je suis rentré par le grand Saint-Bernard, et je suis arrivé dans la vallée d’Aoste, que j’ai revue avec infiniment d’intérêt, et qui est certainement très pittoresque. Je suis arrivé à Turin, où j’ai fait un petit séjour pour mon instruction dans les arts. Je me suis arrêté à Novarre, à Milan, à Vérone, à Padoue, à Venise, que j’ai admirée, et qui est toujours grande et magnifique dans sa solitude actuelle. Les chefs-d’œuvre qu’elle renferme m’ont fait le plus grand plaisir à voir, et j’espère en retirer du profit. Il faut faire ce voyage pour bien juger les maîtres vénitiens. A mon idée, le Titien est le maître à tous ceux qui s’y sont distingués. Son Assomption de la Vierge est un des chefs-d’œuvre de la peinture, ainsi que sa Présentation au Temple. Les Bellini sont aussi admirables. On y voit également les ouvrages d’artistes qui ne sont pas connus d’ailleurs, et qui cependant ont un prodigieux mérite, surtout pour la couleur et cette naïveté première des peintres de la renaissance ; je citerai entre autres Carpatio.