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les premiers peintres vénitiens, Jean Bellin, entre autres, qui a fait de la peinture plus simplement, on doit arriver plus tôt au but. Mais tous ces détails ne sont pas bien intelligibles pour l’homme qui aime les arts pour le plaisir que son cœur éprouve à leurs résultats, et ne s’occupe pas des procédés techniques, qui sont l’affaire des artistes et sont bien plus un travail qu’un plaisir. »


III

Robert, à son nouveau voyage, était parti pour Venise de compagnie avec le peintre Joyant et le jeune fils de ce M. de Mézerac auquel il devait ses premiers encouragemens. Le jeune homme étudiait la peinture sous sa direction. Léopold avait voulu arriver pour le carnaval qui, cette année-là, fut fort brillant à cause d’une diminution de droits sur les comestibles ; mais l’artiste fut tout désorienté en ne trouvant pas, à la première vue, dans les habitans de la ville même, le caractère pittoresque et l’originalité que son imagination avait conçus[1].

Si je copie juste ce que je vois, disait-il (lettre à M. Marcotte, du 2 mars 1832), je sens que je ferais un tableau plat. Si je me représente Venise il y a dix ou vingt ans, j’en peux faire un bon tableau. Je ne puis rien dire encore. Je n’ai pas vu tout ce qu’il y a de curieux. Les

  1. A Paris, il avait été demeurer avec son frère, rue de Navarin, chez son ami, M. Ulrich, de Zurich, habile peintre de paysages et de marines, dans la maison de son ancien camarade d’atelier Gassies, homme de talent aussi solide que modeste, le même qui mourut en 1832, laissant de fort bons tableaux, notamment la Dernière Communion de saint Louis et une charmante peinture d’un Bivouac de la garde nationale, dans la cour du Louvre, durant le procès des ministres, en 1830. A Rome, la demeure et l’atelier de Robert étaient, depuis 1822, dans la via Felice, no 113, près la place d’Espagne. C’est là qu’il a peint les Moissonneurs. A Florence, il habitait via del Cocomero. A Venise, il prit un logement sur le grand canal, en bon air, vis-à-vis l’église de Santa-Maria della Salute. Son atelier était également près du grand canal au palais Pisani, qui est surmonté d’une plate-forme d’où l’on découvre un panorama de Venise plus beau que cela de la tour de Saint-Marc. Mais rien de plus modeste que son installation. « J’ai, dit-il lui-même, trois ateliers pour un dans le palais, des pièces immenses, mais il n’y a que les murs nus et quelques chaises et tables pour nous servir à notre peinture. Notre ameublement est de la dernière simplicité, ce qui a arraché une exclamation à nos compatriotes, qui comparaient notre atelier à ceux des artistes en réputation à Paris. Je ne m’en aperçois pas, quant à moi ; je ne désire l’atelier garni que de bons tableaux, s’il est possible, et des moyens de les faire, à savoir, pour première chose, des modèles un peu pittoresques et beaux.
    « Il serait bien difficile dans une autre ville de se placer d’une manière aussi commode. Nous avons ensuite la facilité d’avoir pour modèles toute la population de Venise (hormis les femmes, fort empêchées par les confesseurs, et même par l’autorité). Tu peux m’adresser tes lettres à Venise. Comme j’en reçois beaucoup, il n’est pas nécessaire d’autre direction. Je suis connu ici, non comme le loup blanc, mais comme l’ours suisse, et ici cet animal est aussi connu que l’antre où il se tient. » (Lettres à MM. Schnetz, Marcotte et Navez.)