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puisque j’y verrais surtout une preuve qu’on m’envisage comme étant un des membres de la grande nation. Il me resterait à désirer de remplir cette nouvelle demande d’une manière qui ne fît pas regretter de l’avoir faite. Quant au prix que le ministre donne pour des tableaux commandés, s’il n’est pas très élevé, celui qui se trouve, ainsi que moi, par exemple, avec l’envie de paraître en France comme nationalisé, doit se montrer peu difficile à satisfaire[1]. »


VI

Robert peignit, à Venise, en 1832 et 1833, deux petits tableaux, qu’il envoya à l’exposition française de 1835 : Deux jeunes Suissesses caressant un chevreau, et Deux jeunes Filles napolitaines se parant pour la danse (ce dernier était commandé par le directeur des douanes de Strasbourg, M. Deu). « Le sujet, écrit Léopold à M. Marcotte (Venise, 17 novembre 1833), est une idée prise non loin de Pompéia. Deux jeunes filles se parent pour aller à une fête des environs ; elles sont sur la terrasse de leur habitation. Dans le fond, on aperçoit le Vésuve, qui offre une assez belle silhouette. Vous serez étonné que j’aie pu exécuter ce sujet ici, où je n’ai pas toutes les commodités que j’avais à Rome. »

Son projet, dès 1834, était d’exécuter une copie des Moissonneurs pour le célèbre amateur polonais établi à Berlin, le comte de Raczynski, et cette copie devait différer, dans quelques détails, de sa première composition[2]. Il l’entreprit alors, l’avança beaucoup, et la mort seule l’empêcha d’y donner la dernière main. Cependant Robert était à Venise depuis les premiers mois de 1832, et, jusqu’à 1835, en plus de trois ans, — sauf la triple ébauche du Repos en. Égypte, sauf un des deux petits tableaux que nous venons de nommer, la répétition inachevée des Moissonneurs, et un petit cadre la Mère heureuse[3] - cet homme si laborieux

  1. Lettre à M. Marcotte, 21 avril 1829, à Rome.
  2. « Il me sera facile de mettre quelque variété dans des ajustemens, sans cependant pour cela rien changer d’important. Il y a aussi un autre changement que je me propose de faire et auquel j’étais presque décidé pour mon premier tableau : c’est la tête du danseur près du char. Elle n’a aucun développement, et de baissée qu’elle est, si je la relève de façon à ce qu’elle regarde les personnes qui sont sur le char, j’aurai le moyen de faire une tête plus intéressante. » (Lettre à M. Marcotte. Venise, 30 juin 1834.)
    Robert fit beaucoup de répétitions de la plupart de ses tableaux. Il peignit, par exemple, en 1821, pour le comte de Gourieff, une Femme de brigand veillant sur le sommeil de son mari, sujet qui eut un tel succès, qu’on lui en redemanda jusqu’à quatorze copies ; mais ces copies furent toujours variées et refaites d’après des modèles différens. Quelle que fût sa difficulté d’invention, Léopold ne pouvait s’astreindre à se copier lui-même, et il est rare que ses répétitions n’offrent pas des différences assez notables qui en font autant d’originaux.
  3. « Demain, je commence le petit tableau que j’ai à vous faire, et dont vous m’avez donné l’idée. C’est une Heureuse mère. Elle est assise sur les rochers des murazzi. Dans le fond, on aura une vue de Chioggia assez pittoresque. Je vois dans ce travail un double avantage : celui d’abord de faire un tableau pour vous, ce qui va me stimuler, et ensuite j’aime bien, avant de commencer ma Sainte Famille, m’inspirer des mouvemens de l’enfance pour y donner, sans sortir de ma composition, un cachet de vérité qui, à ce qu’il me semble, dans les sujets les plus élevés, est aussi nécessaire pour plaire que dans d’autres sujets ; mais il faut que ce cachet soit accompagné du caractère convenable. » (Lettre à M. Marcotte, 30 juin 1834.)