Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

imaginer plusieurs ministères des affaires étrangères pour une seule souveraineté, c’est-à-dire plusieurs organes de la même pensée vis-à-vis des puissances étrangères ? On voulut adoucir par le choix du titulaire ce qu’il y avait d’insolite et de révolutionnaire dans un tel fait. Le prince Paul Esterhazy, autrefois ambassadeur d’Autriche à Londres, retiré des affaires depuis 1842, accepta ce poste. Il l’a quitté quand la voie où l’on voulait marcher n’a plus été douteuse pour personne ; il resta d’ailleurs à Vienne ; en réalité, le ministère des affaires étrangères fut rempli par le jeune député Pulsky, qui s’est fait connaître depuis plusieurs années en Allemagne par des ouvrages estimés sur la Hongrie.

Tandis qu’on préparait ainsi la séparation et la rupture du lien fédéral avec l’Autriche, le mouvement révolutionnaire n’opérait pas avec moins d’audace dans l’intérieur du pays : sous le souffle impétueux qui pousse et entraîne les grandes assemblées, la diète décrétait d’urgence toutes les importantes réformes dont l’initiative appartenait à cette opposition constitutionnelle, déjà suspecte de servilisme ou de conservatisme ; il est vrai que l’opposition constitutionnelle avait voulu mettre à ces réformes certaines conditions, certains préliminaires dont les radicaux s’inquiétèrent peu. Ainsi, depuis dix ans, l’opposition demandait la suppression des dîmes, mais moyennant une indemnité qu’on devait accorder au propriétaire : les corvées avaient déjà été abolies ; les dîmes furent supprimées sans indemnité ; les esprits les plus conservateurs demandèrent qu’on s’emparât des biens du clergé pour les affecter à une future indemnité ; le clergé fut ainsi menacé, et les propriétaires spoliés tout ensemble. Une loi électorale fut votée ; on conféra le droit de suffrage à tous ceux qui possédaient un capital de 300 florins. On ne s’expliquait point sur ce que deviendrait, dans la nouvelle organisation, la chambre des magnats ; mais cette loi électorale était évidemment dirigée contre elle. Sous l’apparence menteuse du suffrage quasi-universel, elle excluait par le fait les millions de paysans auxquels le droit récemment accordé d’acquérir des propriétés n’avait pu cependant en conférer aucune : admis au droit de voter, ces paysans auraient formé, pour les magnats, une nombreuse et redoutable clientelle. L’étendue des possessions des seigneurs hongrois, le nombre d’emplois dont ils disposent, leur générosité, qui contraste souvent avec les exigences de la petite noblesse pauvre et processive, les ont rendus presque partout populaires. Il n’y a pas de paysan qui n’aimât mieux avoir pour seigneur un magnat riche et puissant qu’un de ces nobles de campagne, démocrates à Pesth, véritables tyrans dans leur étroit domaine. Pour le moment cependant, on ne tenta rien contre la première chambre ; elle se trouvait encore défendue par ceux de ses membres qui faisaient partie du ministère, par l’éclat que l’éloquence de ses orateurs