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rive quelque retour de fortune, la dislocation de l’Autriche est accomplie, la guerre civile commence. Que les radicaux qui se sont donné rendez-vous à Berlin remuent à leur gré les élémens inflammables de cette grande ville, qu’ils étendent leurs ramifications dans une armée où malheureusement l’officier n’est pas assez rapproché du soldat, peut-être Berlin va-t-il suivre Vienne, comme cela s’est fait au mois de mars, et la guerre est aussi en Prusse, partout une guerre formidable, il ne faut pas l’oublier, paysans contre paysans, races contre races.

La propagande n’a pas craint d’engager cette lutte à Vienne, et, pour rattacher plus étroitement l’Autriche allemande à la future république, elle a jeté le gant aux Slaves en tendant la main aux Magyars. Pendant qu’elle réclamait avec violence en faveur de la nationalité soi-disant opprimée des frères du Schleswig, elle n’hésitait point à livrer les Allemands de la Hongrie à une suzeraineté étrangère en aidant les Magyars à rompre le lien de l’Autriche. Tel est, en effet, le sens des derniers événemens. Quelques détails suffisent à le prouver.

La première conséquence de la révolution de mars avait été l’émancipation complète du royaume de Hongrie. L’empereur, au lieu de gouverner directement ses sujets magyars par l’intermédiaire d’une chancellerie hongroise résidant à Vienne, n’était plus dès-lors que le souverain constitutionnel d’un royaume annexe de l’Autriche ; Pesth avait son ministère responsable tout-à-fait indépendant du ministère autrichien. Rien n’était plus naturel et plus juste que cette prétention d’un peuple déjà mûr pour la vie constitutionnelle, qui voulait sortir de la tutelle d’un gouvernement d’étrangers, qui en appelait à ses anciens droits, aux souvenirs toujours intacts, aux institutions encore debout d’une nationalité distincte. Du point de vue de l’empire autrichien, c’était cependant une cruelle difficulté de laisser une portion si considérable des états impériaux se dérober ainsi à l’action d’un pouvoir central ; on était désormais obligé d’avoir deux ministres de la guerre et deux ministres des affaires étrangères, un pour l’empire, un pour le royaume, chacun de son côté responsable vis-à-vis d’un parlement différent. L’embarras de cette lourde concession n’avait donc pas tardé à se faire sentir. Il survint de telles circonstances, que l’on put bientôt se croire à la veille de voir ces concessions tomber d’elles-mêmes.

Le royaume de Croatie était, par rapport au royaume de Hongrie, dans une position non pas semblable, mais analogue à celle de la Hongrie par rapport à l’empire d’Autriche. Ç’avait été l’artifice de l’ancienne politique autrichienne d’opposer les Croates aux Magyars, et de tenir constamment ceux-ci en échec par la sourde fermentation des peuples slaves au milieu desquels ils sont comme enchevêtrés. Les Magyars définitivement émancipés du cabinet de Vienne à partir du mois de mars, les Croates ne cherchèrent plus qu’une occasion pour se soustraire à leur tour aux ordres du cabinet de Pesth. Il devait y avoir ainsi réciprocité d’affranchissement, comme il y avait eu subordination réciproque. La diète de Pesth s’était pourtant signalée, dès le lendemain de la révolution, en proclamant l’égalité des droits pour toutes les nationalités assises sur ce territoire, dont les Magyars avaient été jusqu’alors les citoyens privilégiés ; mais un jour d’équité n’efface pas des siècles d’injustice, et les rancunes des peuples ne s’éteignent pas comme celles des individus. Les Croates d’ailleurs étaient encore pleins de cet esprit d’opposition avec lequel la diète d’Agram luttait de-