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a révélé tant de fois tous les dangers. Alors le délire de la spéculation, la folie de l’outre-commerce (over-trade), qui vient de temps à autre emporter toutes les têtes, deviendra l’état normal du pays. On marchera donc de crise en crise, de chute en chute, jusqu’à la ruine finale du crédit public et de tous les établissemens privés. Aussi frémit-on à la seule pensée de voir le privilège de la Banque se diviser pour s’étendre à de nouvelles institutions du même ordre. Quant à l’idée de proclamer la liberté absolue de ces institutions, de permettre à qui voudrait d’en établir à son gré d’autres semblables, elle paraîtrait à bien des gens une monstrueuse folie. Que dirait-on cependant s’il était prouvé, en principe et en fait, que c’est précisément dans le privilège exclusif de la Banque que tout le mal réside, que les crises commerciales n’ont pas en général d’autre source que celle-là, et que l’unique remède à y apporter est dans cette liberté même que l’on repousse ?

Ce n’est pas, il est vrai, ce que disait en 1840 M. Thiers, alors président du conseil des ministres, dans la discussion relative au renouvellement du privilège de la Banque de France. Selon cet homme d’état, l’expérience avait prouvé que deux ou plusieurs banques ne pouvaient pas, sans un immense danger, opérer concurremment dans la même ville, que cette concurrence était pour le pays et pour elles-mêmes une source de graves embarras, et leur devenait presque toujours mortelle ; mais j’ai beau chercher dans l’histoire ; je ne vois pas sur quels faits cette assertion s’appuie : je ne connais même aucun pays où l’expérience n’ait prouvé tout le contraire.

Déjà, dès le dernier siècle Adam Smith, qui n’était pourtant pas enthousiaste des banques, avait remarqué que les établissemens fondés en Écosse étaient devenus plus fermes, plus solides, plus réguliers dans leur marche, à mesure que le nombre s’en était accru dans le pays. « La sûreté du public, dit-il, bien loin de diminuer, n’a fait qu’augmenter par la multiplication récente des compagnies de banque dans les deux royaumes-unis de l’Angleterre et de l’Écosse, événement qui a donné l’alarme à tant de monde[1]. » Et pourtant les banques établies dans l’Angleterre proprement dite étaient alors constituées sur un très mauvais principe, puisqu’en vertu de la loi de 1708, encore en vigueur à cette époque, elles ne pouvaient pas compter plus de six associés, ce qui ne leur permettait pas d’acquérir toute l’ampleur nécessaire à de pareilles institutions. Ce qui s’est passé dans la suite en Angleterre, et surtout en Écosse, n’a fait que confirmer ces justes prévisions.

En aucun lieu du monde, les banques ne fonctionnent avec autant de régularité, avec autant de sécurité pour le public et pour elles-mêmes, que dans cette partie des États-Unis que l’on désigne ordinairement

  1. Richesse des nations, liv. II, chap.II.