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Il n’est pas alors d’entreprise si grande dont on s’effraie : au contraire, les plus vastes, les plus hardies, sont celles qui ont le plus de chances de succès, parce qu’elles répondent le mieux au vrai besoin de la situation. Les listes de souscription s’ouvrent et se remplissent en un clin d’œil. Tout le monde s’y porte : les capitalistes parce qu’ils sont trop heureux de trouver enfin ce débouché tant attendu, les industriels et les commerçans par esprit d’imitation, et parce que les facilités qu’ils ont trouvées jusque-là pour l’escompte de leurs billets leur permettent de détourner quelque argent de leur commerce.

Bientôt donc les sociétés sont constituées et les appels de fonds commencent. Alors apparaît le revers de la médaille, et de toutes parts les embarras surgissent. Chacun se hâte de rappeler ses capitaux. Celui-ci court à la banque, où il les tenait en réserve ; celui-là chez son banquier, où ils ne rapportaient que de très médiocres intérêts. Le banquier, dont la caisse se vide, s’adresse lui-même pour la remplir au réservoir commun, la banque, soit en rappelant une partie des fonds qu’il y avait en compte courant, soit en présentant à l’escompte un plus grand nombre d’effets. Ainsi, l’encaisse métallique de la banque est entamé de toutes parts. Un premier mois, on en retire dix millions, un second mois dix autres, un troisième mois autant, puis encore, et toujours, de manière que cette réserve si large se fond à vue d’œil. Pour comble de malheur, c’est toujours dans le même temps que les besoins de l’état augmentent, parce qu’il éprouve la réaction de la disette qui se manifeste ailleurs. Le trésor public retire donc ses dépôts en même temps que les particuliers. De 200 millions, en comprenant les fonds de l’état, l’encaisse métallique de la banque tombe à 60, à 40, à 30, et peut-être au-dessous en quelques mois. Hier, il excédait de beaucoup le tiers de ses obligations, situation brillante, où il y avait même exubérance de force, pléthore ; aujourd’hui, il n’en égale plus le neuvième, car la banque doit encore 30 millions de dépôts et 250 millions de billets, situation tout-à-fait anormale, impossible à maintenir, et qui appelle à grands cris de prompts remèdes.

Que fera cependant la banque pour en sortir ? Dans les premiers temps, elle essaie de faire tête à l’orage. Elle multiplie ses escomptes, tant parce qu’on lui présente en réalité, comme on vient de le voir, un plus grand nombre d’effets, que parce qu’elle espère satisfaire ainsi les nouveaux besoins qui se révèlent. Elle émet aussi un plus grand nombre de billets ; mais, comme la circulation en a déjà tout ce qu’elle en peut contenir, elle les rejette : à peine émis, ces billets se présentent au remboursement, et contribuent avec tout le reste à diminuer la réserve, qui décline toujours. L’alarme se répand dans le public, et la banque commence à trembler pour elle-même. Elle pourrait vendre des rentes ; mais elle les vendrait nécessairement en baisse. En