pour ce grand artiste une admiration vraiment sentie ; on aimera à en trouver l’expression éparse dans un choix de confidences empruntées à sa correspondance avec M. Marcotte.
Je vais commencer à parler peinture pour répondre à vos remarques sur la manière dont on la traite aujourd’hui. Je prends pour exemple Ingres, qui est à mes yeux le modèle des artistes, celui qui envisage l’art pour l’art, et qui dédaigne de devenir fabricant ; mais, tout en mesurant sa hauteur, je suis fâché pour les arts et pour lui qu’il produise si peu. Son talent a tant de recherche, de caractère et de goût, une fermeté de dessin si remarquable, une exécution si consciencieuse, qu’il lui faut naturellement beaucoup de temps pour se satisfaire. Il travaille seul à ses ouvrages ; c’est encore un point à considérer et qui lui ôte toute analogie avec les peintres anciens, dont la plus grande partie avait de nombreux élèves occupés à les aider. L’amour des arts à notre époque n’offre non plus aucun rapport avec celui qui était si général en Italie au XVe siècle. La nouveauté et l’apparition de chefs-d’œuvre qui ne ressemblaient à rien produisaient un enthousiasme général. Les grands artistes en avaient plus de sûreté pour rendre leurs inspirations. Ils craignaient beaucoup moins la critique ; ils n’avaient point à redouter, pour l’effet de leurs tableaux, de les voir, dans des galeries ou des expositions, au milieu d’un tumulte de cadres où les bonnes choses peuvent être écrasées par les médiocres, et leurs œuvres, placées dans des églises, ne devaient inspirer que des sentimens plus favorables. Pour cette grande raison, nos devanciers travaillaient avec plus de liberté. Ils ne craignaient pas, j’ose le dire, de se permettre des anachronismes, quand leur caprice les y portait. Présentement, rien n’est perdu pour les cent yeux de la critique : ceux qui s’en inquiètent sont arrêtés, comprimés. Je voudrais pour Ingres qu’il vécût en Italie. Je suis sûr qu’il serait plus heureux et produirait plus.
« … Tout ce que vous me dites de lui me fait craindre davantage encore d’habiter une ville telle que Paris (comme peintre, je veux dire). Un homme sans passions est incapable de faire un artiste distingué, puisqu’il est reconnu qu’il faut toujours, à tout homme qui veut produire, une sensibilité qui aime à se faire jour. Mais l’ambition de satisfaire la vanité arrive aussi, lorsqu’on se trouve sur un grand théâtre, et toutes les passions qui, dans la retraite, demeurent cachées, se découvrent : les unes peut-être pour rendre heureux ; les autres, le plus souvent, pour mettre des entraves à la tranquillité et au repos… Je me rappelle toujours plusieurs conversations de M. Gérard, qui paraissait me parler confidentiellement et à cœur ouvert. Pourquoi ne pourrais-je