Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/475

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

chère guenille où le bon Dieu nous a provisoirement logés en attendant les fabuleux organes promis par Fourier ; un moment, pour tout dire, où l’on se réfugie dans l’énergie de la vie individuelle, au sein de la réalité, mère robuste, qu’il suffit de toucher pour défier victorieusement les évocations des Paracelses socialistes. Qu’un roman alors est une chose douce et rafraîchissante ! un roman qui fait repasser rapidement devant vous quelques scènes de ce poème réel où nous avons chacun notre rôle d’activité, de devoir, de labeur, de souffrance et de joie.

D’ailleurs, les vicissitudes et les tristesses du temps présent donnent un intérêt particulier à la littérature romanesque. Les événemens qui ont rompu certaines carrières ont ramené une foule de personnes distinguées à cette existence de retraite, de repos et de contemplation qui est comme le milieu où se nourrit le plus volontiers ce genre de littérature. Quand les acteurs d’élite deviennent spectateurs, quand les positions officielles renvoient dans l’oisiveté des hommes qui remplissaient les premiers rangs de la société active, la vie d’intelligence et d’imagination s’enrichit nécessairement de tout ce que perdent les affaires. Supposez, — la révolution de février a mille fois réalisé cette hypothèse, — supposez une ame autrefois absorbée par le mouvement extérieur, par les commerces superficiels, par l’activité machinale, qui accompagnent les situations publiques, tout à coup rendue aux méditations d’une solitude inoccupée, à l’intimité des cercles restreints, à cette sorte de recueillement calme où l’on se possède soi-même, où l’on peut se sentir et se regarder vivre ; voici ce qui arrive, ce qui arrivera presque toujours : l’on cherche et l’on trouve dans les incidens moins nombreux, mais plus attachans, dans les émotions plus familières, mais plus délicates, de cette nouvelle existence l’aliment d’une activité autrefois prodiguée à des distractions tracassières. Que l’on regrette pour des intérêts publics la perte des situations influentes, je le conçois ; mais la retraite a ses consolations, si ce n’est des compensations préférables, et, quoique forcées, ces haltes dans la vie ont bien leurs profits. L’esprit et le cœur y regagnent une élasticité, une sensibilité, une faculté de se reprendre aux choses du sentiment et de la pensée qui est un rajeunissement plein d’imprévu et de charmes. Aussi, en songeant à cette conséquence de la révolution politique, je me représente bien des révolutions privées qui apparaissent dans les mystères du lointain sous une demi-teinte romanesque. Je vois, en ces temps d’épreuves, les vieilles liaisons se resserrer, les fortes amitiés se nouer. Je vois des esprits élevés, des cœurs aimables, s’unir, se presser pour ainsi dire, afin de se protéger mutuellement contre la tempête déchaînée sur le monde, s’arranger pour passer ensemble ces momens de tourmente, heureux de s’être rencontrés ou retrouvés, comme les