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qu’il faut avoir vue pour s’en faire une idée, dans l’inexprimable misère des fellahs de Méhémet-Ali !

Mais j’ai hâte d’arriver à la partie la plus importante de l’ouvrage de M. de Noailles, partie qui forme un véritable tout : je veux parler de l’étude historique, approfondie, que son sujet lui a donné l’occasion de faire sur le plus funeste événement du règne de Louis XIV : la révocation de l’édit de Nantes. Ici encore, M. de Noailles a trouvé un lieu commun établi, et, en histoire, lieu commun est presque toujours synonyme d’erreur. Ce lieu commun, M. de Noailles l’exprime ainsi : « Pour beaucoup de personnes, cet événement n’a d’autre origine que l’influence de cette favorite dévote, qui, abusant de l’empire que l’âge et la dévotion lui avaient, dit-on, acquis sur le monarque, aurait tout à coup inspiré à celui-ci une longue et atroce persécution contre une partie de ses sujets. Peu s’en faut qu’on ne se représente le grand roi agenouillé devant elle, un chapelet à la main, et, sur ses injonctions impitoyables, proscrivant, châtiant les hérétiques de son royaume pour expier sur eux ses péchés et les scandales de sa jeunesse. » Eh bien ! non, ce n’est pas là l’explication de ce grand et déplorable fait de la révocation de l’édit de Nantes : l’édit de Nantes n’a point été révoqué pour faire plaisir à Mme de Maintenon ni pour expier les péchés amoureux du roi ; non, cette mesure si désastreuse a été le résultat d’une politique suivie avant Louis XIV, approuvée par l’opinion, conforme aux idées qui régnaient dans tous les états catholiques et protestans de l’Europe. Les mesures violentes n’ont point été adoptées brusquement et de gaieté de cœur dans un esprit de fanatisme et de persécution ; on y a été entraîné par les embarras d’une situation difficile qu’on avait imprudemment créée, et d’où l’on ne savait plus comment sortir, Voilà ce qu’expose très bien M. de Noailles. Il n’est point l’apologiste de la mesure, il en est l’historien ; il ne la justifie pas, mais il l’explique. On peut condamner en termes encore plus sévères ce qu’il se contente trop peut-être de désapprouver, et, pour ma part, je le ferais volontiers : j’éprouve plus de colère que lui en présence des faits qu’il expose ; mais je ne puis ni changer ces faits ni en détruire l’enchaînement. C’est cet enchaînement surtout qui n’avait, je crois, jamais été aussi bien mis en lumière, c’est cet enchaînement dont je voudrais donner idée au lecteur, mais qui, je le sens trop, ne pourra être complètement saisi que dans l’ouvrage même.

D’abord, en ce qui concerne l’influence de Mme de Maintenon sur la décision que prit Louis XIV au sujet des protestans, il n’a pas été difficile à M. de Noailles de montrer combien cette influence avait été exagérée, pour ne rien dire de plus. Voltaire, dont les préventions anti-religieuses n’égaraient pas cette fois l’admirable bon sens, Voltaire avait dit, avec beaucoup de justesse : « On voit, par les lettres de Mme de Maintenon,