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le devient plus encore par l’hérédité. Lorsque, dans une même famille, deux ou trois générations d’hommes laborieux et distingués se succèdent, le travail de l’un s’ajoute au travail de l’autre, et une extrême abondance en est la suite. Il est tristement vrai également que l’hérédité s’étend au mal comme au bien, que lek fautes ou simplement les malheurs du père étendent leurs conséquences jusqu’au fils, et que, si deux ou trois générations déclinent sur une pente continue ou languissent dans l’oisiveté, la dernière arrive à une extrême misère. Ces deux résultats sont la conséquence nécessaire de l’inégalité primitive des hommes et de l’hérédité qui la transmet. Que si demain, par impossible, on répartissait en lots égaux toutes les terres, en supposant (ce qui est douteux) que tout le monde ne mourût pas de faim le premier jour, trente ans après il y aurait déjà des gens très pauvres et des gens plus riches, et, comme les mauvaises chances sont plus nombreuses que les bonnes, il y aurait déjà plus de pauvres que de riches. Une grande inégalité dans les conditions, est donc, nous en convenons, la conséquence nécessaire de la propriété héréditaire ; mais, par une consolante disposition de la Providence, cette inégalité porte, sinon sa complète réparation, au moins son adoucissement avec elle. Le superflu de l’un vient en aide au défaut de l’autre, et cela naturellement, sans effort de dévouement ou de charité, sans autre chose, de la part du plus riche, qu’un soin de ses plaisirs et un calcul de son intérêt.

Essayons de faire comprendre comment cette réparation s’opère. Le mérite, avons-nous dit, et le but principal de l’hérédité, c’est de fournir à l’homme entrant dans le monde et naturellement dépourvu de toute ressource d’existence, de tout instrument de travail, les moyens d’employer son activité. Eh bien ! ce que, dans les familles primitives, le père fait pour le fils, dans les société avancées le riche le fait pour le pauvre. Par le capital qu’il a amassé ou déposé dans le sol, le père met son fils en état de travailler ; le riche, par le capital qu’il distribue, fait vivre le pauvre en travaillant.

Un homme, en effet, n’est pas plus tôt parvenu à un certain degré d’abondance, qu’un désir naît dans son ame, celui de jouir et de se reposer. En même temps que ses besoins matériels sont satisfaits, que ses inquiétudes sur son existence sont apaisées, d’autres goûts plus fins, plus délicats, se font sentir à lui. Les recherches de bien-être, les pures jouissances des arts, les plaisirs de l’intelligence, commencent à le toucher. Il a besoin de loisir pour goûter ces plaisirs nouveaux, et d’aide pour se les procurer. Son abondance, s’il reste seul, est un véritable embarras pour lui : elle va fondre entre ses mains. Il s’adresse alors à l’homme moins riche que lui, à celui qui, n’ayant rien hérité de son père, se trouve en ce monde avec ses bras pour seule et ingrate possession, et lui dit : J’ai plus de terre qu’il ne m’en faut pour nous nourrir l’un et l’autre ; j’ai plus d’instrumens de travail que mes bras