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Misera me ! Sollievo a me non resta,
Altro che il pianto, ed il pianto è delitto !

Maintenant que je connais à fond son chagrin, je ne m’en étonne plus.

« Quelle lettre est arrivée ! je l’ai donnée à Keats, pensant qu’elle était de vous ; malheureusement, cela n’était pas. Le coup d’œil qu’il jeta sur cette lettre fut pour lui un déchirement ; les effets s’en firent sentir plusieurs jours. Il ne la lut pas, — il ne le pouvait pas, — mais il me pria de la mettre dans sa bière, avec une bourse et une lettre non ouverte de sa sœur ; depuis lors, il m’a dit de ne pas mettre cette lettre dans la bière, mais seulement la bourse et la lettre de sa sœur, avec quelques cheveux. Je l’ai toutefois amené à penser autrement à ce sujet. Son état d’extrême irritabilité ne lui fait voir autour de lui qu’un monde hostile ; les événemens de sa vie, et même l’affection des autres, lui semblent autant de causes de sa mort déplorable.

« J’ai trouvé une garde anglaise qui devait venir deux heures tous les jours et me permettre de rétablir ma santé. Elle paraissait plaire à Keats, mais elle est tombée malade aujourd’hui et ne peut venir. J’esquisse un tableau dans une petite chambre voisine. Cela et un peu d’italien que je lis chaque jour soutiennent mon courage. Le docteur est dans l’admiration de vos bontés pour Keats ; il le croit au plus mal ; ses poumons sont dans un état effrayant ; son estomac a perdu toute force. Keats sait, depuis la première goutte de sang qu’il a vomie, qu’il doit mourir ; aucune chance de vie ne lui reste.

« 22 février. — Que je suis impatient d’avoir de vos nouvelles (à M. Haslam) ! je n’ai, pour rompre mon effrayante solitude, que des lettres. Jour et nuit, je suis auprès de notre ami mourant. Ma force, ma raison, ma santé, sont à bout. Je ne puis trouver personne pour me remplacer, — personne pour m’aider. Tous ont fui, et d’ailleurs, ne l’eussent-ils pas fait, Keats n’aurait souffert que moi.

« La nuit dernière, j’ai cru qu’il passait ; j’entendais sa gorge râler ; il me demanda de le soulever dans le lit, sinon qu’il mourrait péniblement. Je l’ai veillé toute la nuit, m’attendant à le voir suffoqué à chaque accès de toux. Ce matin, à la lumière pâle de l’aube, son changement m’a fait peur. Pendant ces trois derniers jours, il est devenu un spectre. Quoique le docteur Clark m’ait préparé à ce qu’il y a de pis, je supporterai difficilement ce coup. Je ne puis supporter d’être affranchi de mon horrible situation par cette mort.

« Je suis toujours dans l’impossibilité de peindre, ce qui cependant serait important pour moi. Le pauvre Keats me tient sans cesse auprès de lui ; il ouvre les yeux avec doute et épouvante ; mais, lorsqu’ils tombent sur moi, il les ferme doucement et les rouvre et les referme paisiblement jusqu’à ce qu’il s’endorme. Cette idée me fera rester auprès de lui jusqu’à ce qu’il meure. Et pourquoi dirai-je que je perds mon temps ? Les avantages que j’ai retirés de la connaissance de John Keats sont doubles et triples de ce que m’aurait donné une autre occupation. Adieu.

« 27 février. — Il n’est plus ; il est mort sans aucune douleur ; il semblait s’endormir. Le 23, vers quatre heures, l’approche de la mort se fit sentir. « Severn, — je… - soulève-moi, — je meurs, — je mourrai sans douleur ; ne t’effraie pas, sois ferme, et remercie Dieu que cela soit venu ! » Je l’ai soutenu dans mes bras. Le râle déchirait son gosier et ne fit que s’accroître jusqu’à onze heures ; Keats