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l’objet de la malveillance la plus active de la part du gouvernement. Quant à Mme Bandiera, elle ignora toujours l’affreux événement qui l’avait laissée sans famille. On lui dit que ses fils étaient morts pendant une tempête, un coup de vent les ayant jetés à la mer et la fureur des vagues ayant rendu toute recherche impossible. Hélas ! si le récit présentait quelque invraisemblance, ce n’était pas la pauvre mère qui eût pu le remarquer, car, en apprenant qu’elle n’avait plus de fils, elle avait perdu la raison.

Lorsque de pareilles catastrophes frappent une famille illustre ou du moins bien connue dans un pays, le peuple en éprouve un contre-coup violent, et quelque chose de grave, de respectable, de sacré, semble s’étendre sur tout ce qui touche ou ce qui approche la famille ainsi frappée. En effet, la mort des Bandiera parut dépouiller la noblesse vénitienne de ce je ne sais quoi de frivole qui la distinguait jusque-là. Le peuple la considéra avec plus de respect, et elle-même se sentit comme grandie de tout le malheur et l’héroïsme qui avaient été le partage d’un de ses membres. Deux nobles vénitiens venaient de jouer le premier rôle dans une scène tragique ; la noblesse de Venise endossait pour ainsi dire la robe virile.

Ce fut encore à Venise que se rassembla, en septembre 1847, le dernier congrès scientifique. Des symptômes menaçans montrèrent dès-lors combien l’esprit public avait fait de progrès à Venise en quelques années. Le renvoi subit et brutal du prince de Canino et de son secrétaire, M. Masi, qui s’étaient rendus au congrès à travers une suite d’ovations populaires, excita une indignation générale. Deux hommes, entre autres, se préparèrent dès ce moment à la lutte ; ces deux hommes, une fois entrés dans la voie de l’opposition, ne devaient plus reculer : c’étaient MM. Tommaseo et Manin.

M. Manin est un avocat distingué par son talent et sa probité. La première occasion où se révélèrent son éloquence et son patriotisme fut la mesure inouie en vertu de laquelle le chemin de fer de Venise à Milan, à moitié exécuté aux frais des Lombards-Vénitiens, allait passer entre les mains des Viennois et sous leur direction, sans qu’aucun dédommagement fût alloué aux anciens propriétaires dépouillés par le décret impérial. C’est devant l’assemblée générale des actionnaires que M. Manin défendit les intérêts italiens engagés dans cette question, et proposa d’organiser contre les prétentions de l’Autriche une résistance légale. Les actionnaires, convaincus d’avance de l’inutilité de toute opposition, ne se rangèrent pas à l’opinion du courageux orateur, mais tous gardèrent le souvenir de sa parole énergique et brillante. Venise avait écouté M. Manin avec une reconnaissance qu’elle se réservait de lui prouver plus tard.

Né en Dalmatie, M. Tommaseo n’est pas seulement, comme M. Manin,