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autorité sans contrôle, cette impatience et cette aversion de toute résistance qui s’emparent ordinairement des hommes parvenus tard et inopinément à une position élevée. Une probité à toute épreuve, un grand courage, une facilité d’élocution toute vénitienne, un amour aussi sincère qu’ardent pour son pays, pour l’indépendance et pour la liberté, sont des qualités qui rachètent, il est vrai, bien des défauts, et qui ont fait de l’avocat Manin le chef naturel, et je dirais presque nécessaire, du gouvernement républicain de Venise.

À peine arrivés au pouvoir, MM. Manin et Tommaseo se divisèrent sur un point important. Il s’agissait des bases mêmes du gouvernement qu’on venait de proclamer. M. Tommaseo insistait pour que les provinces dont l’adhésion à la république de Venise avait été spontanément offerte fussent invitées à envoyer des députés à la capitale pour y former une assemblée législative ou constituante et y créer le pouvoir exécutif. Ce projet trouva dans M. Manin un adversaire inflexible. M. Manin redoutait, dans un moment qui réclamait surtout l’énergie et la promptitude des mouvemens, cette tendance à discourir, ces allures lentes et timides qui sont le propre des assemblées inexpérimentées. Il était d’avis de concentrer autant que possible le pouvoir dans une seule main, et c’était, selon lui, le seul moyen de tenir tête aux difficultés de la situation. M. Manin oubliait qu’il n’appartient qu’aux hommes de génie de raisonner ainsi, et de s’en rapporter à leur énergie, à leur décision, plutôt qu’aux salutaires tâtonnemens de la discussion. En refusant de s’appuyer sur le concours d’une assemblée, il acceptait résolûment une responsabilité écrasante, sans que personne dût lui savoir gré d’une détermination dictée par une erreur de patriotisme, et qui fut injustement attribuée à l’ambition. Tout ce que put obtenir M. Tommaseo se réduisit à la formation d’une consulte d’état où devaient figurer, avec les trois députés de Venise, trois représentans envoyés par chaque province. L’édit de formation de cette consulte fut rendu le 1er avril, et sa nomination fixée pour le 10 du même mois. Le gouvernement de la république de Saint-Marc (ce nom fut conservé pour ne pas blesser les sentimens populaires) se trouva ainsi constitué.

L’organisation de ce gouvernement répondait assez mal aux exigences de la situation difficile où il était placé. Un ministère dont M. Manin était le président et une consulte d’état, tels en étaient les seuls rouages. M. Manin, outre la présidence du conseil, avait le portefeuille des affaires étrangères ; M. Tommaseo était ministre de l’instruction publique ; M. Camerata, des finances ; M. Pincherle, du commerce. MM. Solera, Paolucci, Paleocopa, s’étaient partagé la guerre, la marine, l’intérieur et les travaux publics. Enfin, un artisan, M. Toffoli, était ministre sans portefeuille. En instituant ces divers ministères, on ne changea rien à l’édifice administratif dont ils formaient le faîte,