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lui. Une impulsion native, invincible, le contraint de poursuivre sans cesse ce que jamais il n’atteindra. » Ainsi, sur la fin de l’homme, sur la mort, sur la vie future, la science certaine de M. de Lamennais nous apporte un pressentiment d’immortalité de l’ame, et sa raison virile, qui a pénétré les lois internes de Dieu et les lois naturelles de la création, nous promet, par analogie, une suite d’existences semblables à la vie actuelle, qui en seront seulement la continuation progressive, à peine préférables à celle-ci, puisque, comme elle, elles seront séparées, par l’infini, du bonheur final dont les religions nous offrent la perspective lumineuse.

Mystère et hypothèse, avec des conceptions pareilles dont M. de Lamennais récuse si fièrement l’autorité lorsqu’elles viennent de la religion, quelle prise peut-il avoir sur les intelligences, quelle impulsion décisive et pratique peut-il donner à la liberté et à l’activité humaine ? Sa science n’est pas moins incertaine en effet, ni sa raison plus virile, lorsqu’il arrive à la distinction du bien et du mal. On a vu la loi que M. de Lamennais assigne à l’univers et à l’homme : ils doivent pénétrer par une ascension continuelle dans l’Être infini. Chaque être fini « est associé à l’action de Dieu, à l’éternel travail par lequel Dieu se réalise sous les conditions de la limite et conséquemment d’une évolution sans fin. Ils sont à la fois dans leur ensemble la production de ce travail divin et les moyens, les instrumens par lesquels il s’opère. Créés et créateurs dans la sphère des fonctions qui détermine leur nature respective, ils ne sauraient remplir ces fonctions, coopérer à l’œuvre de Dieu, qu’autant qu’ils sont unis à lui, un avec lui. » C’est d’après cette loi que le bien et le mal se déterminent. Les êtres finis sont soumis à deux lois : « la loi d’unité, qui les relie à Dieu, source de leur être ; la loi d’individualité, qui est la condition de leur être hors de Dieu… Pour les êtres finis, la société implique deux élémens opposés, deux lois contraires harmoniquement liées. L’un de ces élémens, l’unité infinie, est le bien pur, puisqu’il est de Dieu ; l’autre, l’individualité finie, considérée exclusivement en soi, est le mal pur, puisqu’il imprime à l’être un mouvement qui l’éloigne de Dieu ou du principe de l’être. » M. de Lamennais répugne, comme on voit, à ces religions « où, suivant ses expressions, de sombres théories sur le mal et l’origine du mal ont persuadé aux hommes qu’ils naissaient coupables ou souillés. » Aussi insiste-t-il à chaque instant sur sa définition atténuative du mal. « L’individualité finie a sa raison dans la limite qui circonscrit l’être et le concentre en soi ; sans la limite, elle redeviendrait l’unité infinie elle-même. Or, la limite essentiellement et purement négative n’est en ce sens qu’une négation de l’être, seule manière possible de concevoir radicalement ce qu’on appelle le mal. » De là il n’a pas de peine à conclure que le mal étant par son essence purement individuel, ses effets dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique