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scholastique. Ce syllogisme s’énonce alors ainsi : Majeure : la foi et la liberté ne peuvent exister ensemble ; mineure : or, le système de Copernic est librement enseigné, etc. (placez ici la kyrielle des mais et des libertés dont nous jouissons) ; conclusion : donc, nous ne pouvons plus croire à la présence réelle, etc. (ici la litanie des choses auxquelles nous ne devons plus croire). Que dites-vous de cette façon de raisonner ? La foi et la liberté sont incompatibles ; or, la Sorbonne ne fait plus brûler par la main du bourreau les livres des philosophes ; donc, il n’est plus possible que l’on croie, en France, à la présence réelle. La souveraineté du peuple a remplacé le pouvoir absolu des rois ; donc, l’infaillibilité du pape n’existe plus pour les fidèles, donc encore, personne ne saurait plus jeûner. Nous n’avons pas besoin de cracher cent mots de pédant et de dire à M. Proudhon comment s’appellent en latin et en grec les fautes de ce syllogisme pour faire sauter aux yeux l’énormité de son raisonnement. La choquante absurdité de la conclusion résulte de l’illégitimité de la majeure : la religion et toutes les libertés sont incompatibles. On a ici un exemple sensible des tours que la dialectique antinomique joue à M. Proudhon ; toutes les fois que M. Proudhon rencontre une idée, il la prend au sens absolu et l’oppose à une idée contradictoire également prise au sens absolu. Il oublie le mot de Montaigne, qui semblait prévoir l’antinomie, lorsqu’il disait : « Les extrémités de notre perquisition tombent toutes en éblouissemens. » Attribuant presque toujours à des notions concrètes, particulières, des propriétés mathématiques, il les fait se détruire l’une l’autre, comme se détruisent, en algèbre, les quantités positives et les quantités négatives. Ainsi, dans le cas présent, M. Proudhon annonçait la ruine du christianisme ; il avait besoin d’un terme contradictoire à l’idée de religion, et voici l’opération qui s’est faite dans son esprit. La religion, c’est l’autorité ; l’antagoniste de l’autorité, c’est la liberté ; donc, la religion est tuée dès que la liberté existe. Supposez que M. Proudhon eût voulu nous annoncer la mort de la poésie, qu’y a-t-il de plus contraire à la poésie que la mécanique ? Notre siècle s’immortalise par les plus puissantes inventions de machines, par les plus merveilleuses réalisations industrielles ; donc, il n’y a plus de poésie ; Fulton a inventé la machine à vapeur, donc Byron n’était pas poète ; l’Europe se couvre de chemins de fer, donc on ne comprend plus Goethe et Chateaubriand. Voilà des démonstrations certaines comme la géométrie, car vous saurez que notre Aristote en partie double a la prétention de n’admettre, en métaphysique et en morale, que les preuves arithmétiques, et que, comme don Juan, il résumerait volontiers en ces deux articles le symbole de sa foi : « Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit. »

Tous ces piéges maladroits de grammairien scholastique seraient en-