Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/856

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont il a bercé sa jeunesse et sa maturité, avec les coquetteries révolutionnaires dont il a semé sa propagande napoléonienne. Défenseur improvisé de l’ordre et de la loi, il est condamné, par la mission même qu’il brigue, au regret éternel des actes de violence qu’il a commis naguère contre l’ordre et contre la loi. La conversion du général Cavaignac, pour n’avoir pas les mêmes difficultés intimes, pour n’être point embarrassée des mêmes réminiscences personnelles, n’est pas non plus une tâche commode. Il a été l’élu d’un parti qu’il croyait, du fond de sa solitude d’Afrique, le parti le plus généreux et le plus éclairé ; il est obligé de reconnaître que ce parti n’est point la France, et de renier autant qu’il est en lui le patronage pernicieux d’une origine impopulaire. Il était lié par des affinités nombreuses avec un parti plus extrême encore : il avait de ce côté-là des attaches de famille, des traditions domestiques. Entre ce côté-là, néanmoins, et lui, le nouvel homme, il a dû ouvrir un abîme, et l’abîme est maintenant ouvert par l’acier de la parole comme par l’acier de l’épée.

Nous tenons cette révolution pour sincère, et chez M. Louis Bonaparte et chez le général Cavaignac ; quels que soient nos sentimens à l’endroit de l’un ou de l’autre, nous aurions mauvaise grace à contester les intentions de celui qui nous plairait le moins, sans vouloir également révoquer en doute celles de son rival. En ce qui les concerne tous les deux, cette révolution est un fait officiellement accompli, et tel est le résultat capital de cette dernière semaine : nous n’avons plus besoin d’en savoir davantage. Nous croyons assurément que l’approche du terme décisif n’est pas étrangère aux éclaircissemens qu’on nous a donnés des deux parts ; mais, l’urgence avant compté pour autant auprès de chacun dans cette décision salutaire, nous ne pouvons faire à personne un démérite d’avoir attendu si long-temps.

Situation singulière où notre impartialité de juge se trouve tout d’un coup placée entre ces candidats qui avaient bien la mine, il y a quelque temps, de s’appuyer sur d’autres que sur nous, et qui, repoussant aujourd’hui toute alliance équivoque, viennent presque en même temps nous assurer qu’ils sont uniquement les nôtres ! Nous avons l’amour-propre de notre opinion, et cet assaut qu’on nous livre pour se la concilier ne laisserait pas de nous être agréable, si la perplexité dans laquelle nous jette l’obligation de choisir ne s’accroissait en présence de candidats qui prétendent opiniâtrement et ne ressembler qu’à nous et se ressembler tous les deux. N’y a-t-il donc plus de bonapartistes, que le prince Louis ne parle qu’à notre adresse, à nous qui le sommes si peu ? Le National est-il donc tout-à-fait dépourvu de crédit, que le général son ami ne demande de recommandations qu’ailleurs ? Lequel garder, maintenant que nous voilà tous en famille ? Pour beaucoup, certainement, la question va rester indécise jusqu’au dernier jour, parce que chaque jour, dans la passe critique où nous sommes, chaque jour a sa péripétie. Nous contemplons pour la première fois ces prodiges d’émulation politique dont les Américains ont l’habitude ; ne nous en étonnons pas trop : ces prodiges sont dans la nature des choses et selon la loi des circonstances. Les candidats redoublent d’activité à l’instant où la solution approche ; hier la balance penchait pour celui-ci, comment la fera-t-on pencher demain pour celui-là ? Il faut en prendre notre parti : la vie d’une république, c’est ce problème en permanence au sommet de l’état. Nous vivons fort de cette vie à l’heure qu’il est, et, sans prévoir autrement les nouvelles