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par suite des exigences du cabinet français, qui mettait son concours à un haut prix.

« Voyez, disait M. de Bourqueney en transmettant à M. Guizot quelques observations présentées par les plénipotentiaires de Londres contre les conditions du gouvernement français, voyez, monsieur, ce que vous avez à décider dans votre sagesse. Vous n’avez pas encore eu à prendre une décision plus grave. Je répète, parce que c’est ma conviction, que, sur les quatre puissances, trois au moins croient avoir ouvert à la France une haute et honorable porte de rentrée dans le concert européen ; mais enfin, c’est à nous d’examiner si nous la trouvons à notre taille, au risque de la fermer sans retour et de faire face, dès le lendemain, à une situation toute nouvelle[1].

À ces réflexions, M. Guizot répondit[2] :

« Au moment que nous n’avons pas fait les premières ouvertures, qu’on ne nous demande pas de sanctionner le traité du 15 juillet, et qu’on ne nous parle plus de désarmement, l’honneur est parfaitement sauf. Rompre toute coalition apparente ou réelle en dehors de nous, prévenir entre la Russie et l’Angleterre des habitudes d’une intimité un peu prolongée, rendre toutes les puissances à leur situation indépendante et à leurs intérêts naturels, sortir nous-mêmes de la position d’isolement pour prendre la position d’indépendance, en bonne intelligence avec tous et sans lien étroit avec personne : ce sont là des résultats assez considérables pour être achetés au prix de quelque ennui de discussion. »

Cette résolution de M. Guizot mettait fin aux préliminaires de la négociation ; restait à donner à ces transactions confidentielles une forme régulière et officielle. Cette opération ne fut pas sans difficultés, le ministre français ne voulant pas plus céder sur les questions de rédaction qu’il n’avait fait sur le fond même des choses. En vain son propre agent insistait pour qu’il se montrât moins pointilleux sur les termes employés dans les actes projetés : « Il n’y a pas moyen, lui écrivait M. Guizot[3]. Parmi les changemens de rédaction que je vous ai indiqués, le premier et le dernier nous importent vraiment beaucoup… Tout bien considéré, nous n’avons point montré d’empressement à négocier ; nous avons attendu qu’on vînt à nous. Il nous convient d’être aussi tranquilles et aussi dignes quand il s’agit de conclure, et, puisqu’on nous transmet confidentiellement des projets d’acte, c’est apparemment pour que nous y fassions les objections qui nous paraîtront convenables… »

Le refus de M. Guizot inquiétait M. de Bourqueney ; il insistait vivement sur les inconvéniens d’un ajournement prolongé au-delà d’une certaine mesure[4].

  1. Lettre particulière de M. de Bourqueney, 25 février 1841.
  2. Lettre particulière de M. Guizot, 28 février.
  3. Lettre particulière de M. Guizot à M. de Bourqueney.
  4. Lettre particulière de M. de Bourqueney, 13 mars 1841.