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la Russie avec un machiavélisme dont l’Europe était alors un peu la dupe. L’Autriche chrétienne, l’Autriche alliée de la Russie jusqu’à la dépendance, sut résister à la fois à ces engagemens d’une alliance permanente et systématique et à cet entraînement universel d’une nouvelle croisade. Travailler à l’avènement du principe de race en Turquie, c’eût été travailler au profit d’une force par les évolutions de laquelle l’Autriche conquérante pouvait être un jour gravement menacée. M. de Metternich avait reconnu là son ennemi, l’ennemi de la conquête, l’idée de race, le fantôme de ses nuits, la nationalité devenue un moment l’objet d’un culte européen. Aussi, tandis que le cabinet de Saint-Pétersbourg, croyant servir son ambition, prenait sur ce terrain de l’empire ottoman le parti des révolutions nationales, la vieille Autriche, guidée par un intérêt de conservation personnelle, se reconnaissait solidaire des intérêts de la vieille Turquie. La nature avait produit ce rapprochement à l’origine, la nature l’a maintenu, bien que la Turquie ait dû quelquefois le payer par de durs sacrifices d’amour-propre et par une servitude diplomatique dont elle s’est rarement affranchie.

Or, la même cause qui avait donné lieu à l’union des deux gouvernemens, c’est-à-dire la solidarité des intérêts, avait aussi dès l’origine amené les patriotes à se concerter dans cette grande et commune pensée de nationalité. Comme les gouvernemens y voyaient une menace, les peuples y découvraient un puissant moyen de reprendre vie, d’agir, de tenter la fortune. Si quelque émotion politique agitait l’Autriche ou la Turquie, elle se communiquait promptement sur toute l’étendue de l’un et de l’autre empire, des Balkans aux Carpathes, ou des Carpathes aux Balkans. Que de plaintes, que de gémissemens, que de cris de douleur ont ainsi été portés par les échos des peuples de l’Autriche à ceux de la Turquie, et réciproquement ! Quelques paroles d’espérance se sont aussi parfois mêlées à ce concert de lamentations, et elles ont retenti avec vivacité au fond de ces cœurs souffrans, mais non découragés. Depuis que l’antique fatalité de la conquête leur a semblé ruinée par les mouvemens constitutionnels issus de 1830 et par la réaction vigoureuse des esprits contre les traités de 1815, les peuples danubiens se sont livrés avec plus d’ardeur à ces espérances, et ils ont travaillé avec plus de foi à les réaliser en commun. Une certaine alliance s’est ainsi formée naturellement entre les populations de l’Autriche et celles de la Turquie, en opposition à la politique de la conquête suivie par les deux gouvernemens.

Une circonstance ethnographique secondait merveilleusement cette alliance : les deux races qui habitent la Turquie du nord, la race roumaine sur la rive gauche du Danube, la race illyrienne sur la rive droite de ce fleuve et de la Save, s’étendent par-dessus la frontière