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actes déjà accomplis entre plusieurs seigneurs et leurs villages[1] ; peu à peu on arrivait graduellement et sans secousse à l’abolition complète de toutes les charges urbariales. L’opinion publique et, je l’ai dit, la volonté même de ceux qui semblaient les plus intéressés à les maintenir étaient impérieuses et unanimes sur ce point. Le principe était admis pour tout le monde, diète et gouvernement ; on cherchait seulement un mode pour l’indemnité due aux propriétaires. Les uns proposaient d’opérer le rachat au moyen d’annuités à payer, pendant un certain nombre d’années, aux propriétaires par les tenanciers actuels. Les autres demandaient l’expropriation pour cause d’utilité publique, moyennant une indemnité qui aurait été acquittée par l’état. Ceux-ci, combinant la mesure du rachat avec l’abolition du privilège des nobles en matière d’impôts, proposaient un emprunt national destiné au remboursement des propriétaires ; les intérêts en auraient été servis au moyen des contributions établies à l’avenir sur les terres nobles. A vrai dire, cette combinaison était un moyen assez ingénieux de supprimer les dîmes en prenant l’indemnité dans la bourse même de ceux qui devaient la recevoir. Le gouvernement autrichien, quelque temps indécis sur le mode de transaction, s’était déterminé, lors de la dernière diète, à prendre lui-même l’initiative et la responsabilité des mesures. Parmi les propositions royales figurait en première ligne l’abolition des charges et dîmes urbariales. La diète était déjà saisie de la discussion et au moment d’adopter un des modes de rachat indiqués tout-à-l’heure. Le 4 février de cette année, la table des magnats entendit le rapport qui lui fut fait sur la matière par Émile Desewfy. « Dans cette assemblée composée des plus grands seigneurs terriens de l’Europe, la Russie peut-être exceptée, disait avec une juste fierté l’orateur, il n’y a pas eu une voix, pas une seule, pour s’opposer au projet de rachat. » La délibération dura deux jours, chacun ayant voulu signaler par quelque discours la part directe qu’il prenait à l’affranchissement de la patrie. Une commission fut nommée pour se concerter

  1. Même avant la loi sur les contrats perpétuels, plusieurs propriétaires avaient conclu avec leurs paysans des transactions qu’on pouvait considérer comme de véritables ventes, puisque le rachat des dîmes et corvées y était stipulé à perpétuité. Une des premières opérations de ce genre fut faite, il y a vingt ans, par le prince de Cobourg-Cohary, à Keskemeth ; j’ai vu moi-même un contrat entre la famille Karoly et environ trois mille paysans dans le comitat de Csongrad. Ce contrat, sur un parchemin de plusieurs mètres de long, portait les signatures des trois mille paysans contractans. Il avait été déposé au chapitre de Waitzen, avec l’approbation de la chancellerie. Voici les principales conditions de ce contrat : les paysans devaient payer par vingtième, chaque année, une somme de 3 millions et demi de francs, et les intérêts à 5 pour 100 ; les deux premiers vingtièmes avaient été payés d’avance au moyen d’un emprunt contracté par les paysans chez un banquier de Vienne ; enfin, dix mille arpens de pâturage, qui formaient depuis long-temps la matière d’un procès entre le seigneur et les paysans, étaient abandonnés par ceux-ci.